L'ouverture de Lettre d'une Inconnue, seizième réalisation de Max Ophuls et adaptation de la bouleversante nouvelle du même nom de Stefan Zweig, donne le ton du film, avec l'ouverture d'une lettre commençant par :
Lorsque vous lirez ceci, je serai morte
Ensuite ?
C'est simple, Max Ophuls fait preuve d’une maitrise absolue du mélodrame pour nous raconter cette histoire, celle d’un amour impossible et d’une femme qui aura, toute sa vie, aimé passionnément un homme qui ne faisait guère attention à elle, excepté un court moment. C'est tout simplement beau, les sentiments humains mis à nu, sans jamais tomber dans la mièvrerie ou quelconques adjectifs péjoratifs pouvant plomber de genre de film.
Il met en scène, tout en fluidité, un récit qu’il rend émouvant et bouleversant.
La force du film se trouve avant tout dans le portrait de femme qu'il met en scène, celui de Lisa l’inconnue Berndl. Elle est touchante, attachante et dès le début, on découvre l'amour et la passion dévorante qu'elle éprouve pour cet homme, celui qui guidera chaque étape de sa vie, qui accompagnera chacune de ses pensées. Max Ophüls fait preuve d’une extrême justesse, le récit évolue avec émotion et sa grâce formelle atteint des sommets.
Il ne laisse rien au hasard, il prend son temps lorsque c'est nécessaire, et chaque geste, mot ou regard résonne avec justesse et émotion dans un Vienne qu’il sublime et où il nous transporte et nous emporte. Toutes les séquences sont inoubliables, il y a la rencontre sous la neige puis la soirée qui va suivre (rarement le romantisme n'aura atteint une telle perfection) , lorsqu'elle découvre l'intérieur du logement de Stefan ou ses rencontres avec lui dans la dernière partie, lorsque le temps s'arrête.
Enfin, il y en a tant...
Malgré un tournage hollywoodien, jamais (ou presque) un film n'aura été aussi beau et vrai dans sa façon de traiter des sentiments, tout en s'adaptant aux mœurs de l'époque (de la nouvelle, et du tournage). Tout est sublime, tout est prétexte à être émouvant et ne pas laisser indifférent, alors que la maîtrise du cinéaste se trouve aussi dans l'utilisation des décors, dans le montage, la photographie, sublime, en noir et blanc ou simplement ses cadrages et mouvements de caméra.
Max Ophüls aborde aussi, intelligemment, différentes thématiques, à commencer par la place de la femme dans cette société du XXᵉ siècle. C'est, évidemment, fait avec subtilité et délicatesse, sans prendre le pas sur les émotions. Joan Fontaine est d'ailleurs touchée par la grâce et délivre une prestation merveilleuse, elle ne joue pas, elle est cette femme. Cette justesse se retrouve aussi dans la partition de Louis Jourdan, si fragile derrière une apparence forte.
Si le terme de chef-d'œuvre n'est pas toujours utilisé à bon escient, il prend tout son sens ici tant Lettre d'une Inconnue est d'une grande force mélodramatique, bénéficiant d'une immense maîtrise de Max Ophüls, dirigeant magnifiquement ses deux comédiens dans une histoire d'une rare sensibilité, élégance ou encore justesse, une histoire touchée par la grâce.