Les lettres d’un homme mort s’adressent à fils disparu, et jalonnent d’une voix off monocorde un monde des choses dernières.
L’apocalypse nucléaire a bien eu lieu, nous déclare ce film russe sorti un mois avant la catastrophe de Tchernobyl.
Dehors est révolu, et l’humanité se terre dans des souterrains glauques au sein desquels on s’affaire.
La question est entière : à quoi ? Pédalant sur des dynamos, prétextant avoir « beaucoup de travail », les vieux se laissent aller à une nouvelle déclinaison du divertissement pascalien. Il ne s’agit pas de tromper l’ennui pour conjurer la pensée de la mort, mais bien de s’acharner à entériner celle-ci, à l’échelle de l’humanité.
On dicte, on consulte, on glose. On écrit, on récite, on débat, sur le vide terrible d’une agonie généralisée. Les derniers humanistes le reconnaissent : leur engeance ne prospéra que dans la dynamique d’un lent et méthodique suicide.
En face d’eux, des jeunes enfants dont on ne sait que faire, et qui ont perdu jusqu’à l’usage de la parole.
Résolument inspiré par l’imagerie de La Jetée de Marker, irrigué jusqu’aux gouttes insalubres par l’esthétique contemplative de Tarkovski, Lettres d’un homme mort est une gigantesque et désespérée postface à l’humanité. En écrin aux mots qui ne parlent plus qu’au passé, l’image cramée et jaunie déglace de tout glamour la vision apocalyptique traditionnelle, plus proche de Nuit & Brouillard que de L’Armée des douze singes.
Dans Stalker, on postule les bienfaits de cette Zone qui offrait déjà dans un travelling mémorable un accès à une couleur nouvelle ; ici, point de salut. Le sous-sol est une nécropole où les corps se mêlent aux livres qui pourrissent dans une soupe mortifère, et que l’on creuse pour y reposer.
Le suicide n’a jamais été aussi légitime.
Pourtant, on pédale tout de même ; on mobilise les enfants pour décorer des arbres de Noël ; on se couvre d’un masque pour aller dehors.

Chant funèbre d’une mélancolie immuable, Lettres d’un homme mort est le cri étouffé d’un humaniste qui pense pouvoir encore s’adresser aux vivants que nous sommes. Et qui y parvient, sans qu’on puisse pour autant avoir le sentiment que cet avertissement conjurera la fin programmée de notre monde.

(8,5/10)

(Merci au chinois)
Sergent_Pepper
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le 26 nov. 2014

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Sergent_Pepper

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