Mauro Bolognini, éternel négligé, certainement le réalisateur que je cite en premier lorsque l’on me questionne sur le cinéma italien, le grand Mauro Bolognini qu’on a considéré injustement comme le Visconti des pauvres.
L'Italie des années 30-40, époque où vous ne pouvez pas agir, penser, parler ou même vous habiller d'une manière contre le régime fasciste. Bolognini dépeint le plus librement cette atmosphère d'intolérance, de répression, d'emprisonnement, d’angoisse et d’oppression où un esprit libertaire n'est pas permis, hormis sur une île en exil. Dans cet environnement étouffant, on retrouve la passionnée Libera Valente (Claudia Cardinale) toujours rebelle et toujours vêtue de rouge, confrontée à toute l’horreur du fascisme mussolinien. Indomptable et pétillante, Claudia Cardinale joue à merveille cette femme incandescente et révoltée, elle y est remarquable. Libera sert de portrait d'une Italie non conformiste. Cependant, les problèmes arrivent très vite à la porte du mari tailleur Matteo (Bruno Cirino) et de ses enfants. La famille se retrouve régulièrement contrainte de changer de ville suite aux élucubrations engagées de la mère. C'est Franco Testa (Philippe Leroy qu'on retrouve dans Le Trou de Becker), officier au service de Mussolini qui les menace successivement.
Le personnage du mari Matteo est très amusant voir touchant, un peu le cul entre deux chaises, qui rejette totalement les avances des chemises noires, mais ne cautionnant pas la radicalité anarchique et utopiste de sa femme. Il souhaite le bien être de ses enfants et est éperdument amoureux de Libera qui ne sait pas cuisiner un bon minestrone. Bruno Cirino est attachant dans ce qui est le rôle de sa vie, très certainement suite à une carrière qui par la suite sera centrée sur la télévision, avant malheureusement son décès survenu à l'âge de 44 ans seulement.
À de nombreuses reprises, certaines scènes superposent des plans de Libera avec des images d'archives des discours du duce alors en pleine gloire, jusqu'à son buste broyé signifiant sa chute. Très pertinente également, l'évocation des crimes de guerre perpétrés par la Wehrmacht sur le peuple italien après le retrait de l’Italie de l’Axe à partir de 1943, il est important de rappeler que des tragédies comme Oradour-sur-Glane, chez nous, ont également eu lieu sur le territoire transalpin en réponse aux actes de sabotage de la valeureuse résistance italienne.
C’est un très beau film portant un regard féministe. Comme très souvent chez Bolognini, on est dans une perspective ouvriériste. Liberté, mon amour soutient la thèse selon laquelle la victoire sur le fascisme en 1945 n'a pas débouché sur un changement radical de la société italienne. Lorsque le film sort en 1975, l'Italie est plongée dans le chaos des années de plomb où communistes terroristes et chrétiens-démocrates, héritiers dans une certaine mesure d'un fascisme encore présent, s'entre-tuent au point qu'en 1978, Aldo Moro, ancien Premier ministre, se fait enlever puis assassiner par les Brigades rouges. D'ailleurs, Bolognini a consacré un film à cette affaire aussi passionnante qu’invraisemblable.
Étonnamment, le film sort seulement deux ans après en France, soit quelques mois après le chef d'œuvre de Bernardo Bertolucci : 1900, similaire dans son engagement antifasciste.