Aussi subversif qu'un journal de 13H

Pourquoi faut-il toujours que lorsque la comédie française s’empare d’un sujet original et intéressant, elle se vautre dans le même temps dans une leçon balourde lorsque le dernier acte remet enfin les pendules de la normalité à l’heure ?

Le point de départ de Libre et assoupi est pourtant amusant et peu commun, faire l’apologie de la fainéantise, assumer pleinement une envie de ne rien faire comme art de vivre. Dans une société où l’effort et le travail sont les valeurs à défendre, donner la parole à l’horloge biologique qui réclame son temps, et non son argent, est stimulant, d’autant plus qu’on est tous très bien conscients que la réalité est toute autre... alors quand le temps d’un film, il est question de jouer les destructeurs de vie active à coup d’humour gras et de sourire en coin, j’applaudis des trois mains.

Mais bien vite on sent, derrière cette histoire censée mettre des coups derrière la nuque de l’aspiration à une vie régie par l’ambition et la vie de famille, une envie ardente de défendre ces mêmes valeurs. La dernière demi-heure voit alors cet anti-héros fier de ne rien construire de son temps retrouver le droit chemin, en allant gagner sa croûte à Conforama pour confirmer son statut de roi du pieu dont les efforts sont récompensés : il rencontre enfin sa princesse, dernière marche curative symbolique : il arpente enfin définitivement le standard dont il s’était, le cinglé, le barré, l’utopiste, détourné (le malade mental, vraiment).

Comme si ce revirement de situation, cette petite session de psychothérapie bon marché pour le flemmard qui sommeille en vous ne suffisait pas, il fallait que chaque seconde de Libre et assoupi sonne comme la petite performance arty arrosée d’une fraîcheur printanière de bonne marque. Dès le début les cartes sont faussées, le branleur est incarné par un éphèbe sportif aux tablettes de chocolats naissantes (les Coen et leur Dude pleurent), et les deux éléments comiques qui gravitent dans sa sphère intime sont en mode sitcom, dans un surjeu constant atroce. C’est bien simple, à chaque tirade, on attend l’agression à coup de rires enregistrés. Le seul acteur qui arrive à tirer son épingle du jeu, c’est l’excellent Podalydès, qui malgré son rôle d’assistant social dessiné par Disney, file la banane. Les autres peinent à trouver le rythme et chaque monologue fait l’effet d’une récitation scolaire.

Mais la mise à mort de mon enthousiasme initial a trouvé son heure lorsque se sont invitées à l’écran des petites pièces de théâtre et démonstrations brutales qui font basculer le film dans le conte moralisateur à deux vitesses (comprendre, je dénonce une attitude en étant en fait dans l’empathie avec cette même attitude, le truc bien vicelard). Lors d’un apéro retrouvaille, chaque convive bien dans sa vie professionnelle bombe le torse, tend les cordes vocales pour faire semblant de briser les idées reçues par un jeu de scène tellement recherché qu’on frissonne. Alors qu'on se pensait au bout du rouleau, le pire survient dans un parc, la leçon de morale en mode psychologie inversée se met en route. On est gêné, mais on est fort, non, je ne cèderai pas à cette télécommande et son bouton carré salvateur qui me tend les bras (c’était moinzune).

En bref, libre et assoupi, c’est une comédie faussement contestataire qui se contente de mettre en scène le marginal pour prouver qu'il a tort de l'être. Qui te fait croire qu’on peut très bien être bien balancé dans son petit cerveau et aimer ne rien faire pour te montrer ensuite que la vraie vie, c’est un boulot stable et une vie rangée. Non pas que je conteste l’un ou l’autre des choix (je suis très satisfait de mon boulot sécurisant), simplement qu’il n’était peut être pas nécessaire de brasser autant de vent pendant 90 minutes pour souligner à ce point l’évidence. Il aurait en effet été bien plus audacieux d’assumer le propos marginal de départ, celui qui est à l’origine de quelques séquences réussies, celles qui se contentent d’assumer leur orientation burlesque (Pandi Panda ou l’errance en slibard dans un musée), en laissant le personnage principal continuer de vivre pleinement sa quête du vide, avec le même sourire qu’il arborait dans les premières minutes. Là, peut-être, le message aurait été plus sensé, il aurait au moins pu provoquer un début de réflexion sur la place du travail dans nos vies au lieu d'en confirmer son statut actuel.

oso
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le 15 janv. 2023

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