Lil’ Buck Real Swan raccorde la danse à sa nécessité pour des artistes qui trouvent là l’occasion d’échapper, ne serait-ce que pour un temps, à la précarité du monde extérieur et de leur condition sociale. « Il n’y a pas d’autre porte de sortie. Ils doivent faire quelque chose de positif », indique la mère de Charles Riley. La vitalité qu’ils engagent dans des chorégraphies personnalisées et improvisées constitue l’expression de leurs expériences sous une forme artistique, une volonté de mimer la violence qui gangrène leur ville, à l’image de ce que proposait déjà West Side Story en 1961 (Robert Wise et Jerome Robbins).
Le long métrage croise une approche documentaire, pédagogique et immersive, avec des séquences de danse à l’esthétique très travaillée et somptueuse ; ce choix de composition permet de toucher au sublime en partant d’un quotidien routinier et morose, comme si les désirs d’évasion des danseurs s’incarnaient à l’écran et prenaient le pas sur la réalité. La rencontre avec Benjamin Millepied contribue à installer cette réflexion plus théorique sur le jookin’, rencontre entre un certain classicisme et la modernité, recréation par la modernité d’un certain classicisme que l’on peut aisément déplacer dans un ballet. Elle insiste surtout sur la notion de partage, essentielle ici : Charles Riley, comme Benjamin Millepied, font vivre leur art en en transmettant la technique et la passion, entretenant l’esprit du Crystal Club et des échanges de cassettes vidéo sur lesquelles sont enregistrées nombre de chorégraphies à méditer, à déformer, à faire revivre encore et encore. Le film se pense lui-même telle une œuvre en partage, dialoguant avec son spectateur et l’invitant à prolonger son initiation au jookin’.
Un excellent documentaire, beau et instructif, signé Louis Wallecan.