Vestiges d'une classe ouvrière
CRITIQUE
Quand on fait le constat de la misère, est-ce du misérabilisme ?
Je trouve personnellement que le film ne s'en sort pas si mal, n'est jamais trop écoeurant sur la forme tout en l'étant sur le fond. Il ne s'en sort pas si mal pour un sujet vraiment casse-gueule où le pathos peut facilement déborder, surtout parce que c'est la triste vérité pour bon nombre de prostituées (la très très large majorité en fait).
Je ne pense pas qu'il faille épurer la misère pour la rendre acceptable ou plus compréhensible. Parce qu'en fait, toute misère et différence entre les êtres humains est anarchique, anachronique ; c'est le produit de l'irresponsabilité qui ne dépend pas des individus, surtout quand ils sont aussi divisés. Je comprend qu'on puisse être écoeuré, qu'on puisse enlever son coeur et le mettre à côté le temps que le film passe. Il y a de quoi être dégoûté, de quoi rejeter parce que l'empathie s'est rebellée. Le film ouvre sur une profusion émotionnelle qu'il est possible d'y voir un trop-plein. Personnellement, j'y vois un stigmate de la misère où l'apocalypse est quelque chose d'intime, quelque chose dont il faut absolument parler quelle qu'en soit la forme.
Lilja, c'est un peu une goutte d'eau qui tombe et qui, à sa chute et par le poids de sa chute, propage les ondes. Lancer l'alerte, c'est vite dit. Le monde ne sait pas faire autrement, il ne sait pas trop faire comment pour encaisser ce... trop-plein.
Là où on peut percevoir du misérabilisme en revanche, c'est peut-être justement avec l'abandon de sa mère ou avec l'intoxication médicamenteuse de Volodja (là, c'est vrai que les violons affadissent le ton du film, heureusement lui-même contrebalancé par une musique )... Mais pourquoi pas après tout, c'est cohérent. L'histoire du loverboy, c'est logique.
Quant à ceux qui ignorent les causes de cette dégradation de l'être et de la marchandisation des corps, en plaçant ce film de manière un peu à la Beckett quelque part en ex-URSS ou dans l'un de ses pays satellites, l'auteur nous dit un peu pourquoi tacitement les choses sont ainsi faites.
Mais je confesse que de ne rien dire à propos, ou très peu (Lilja et Volodja vont à un moment dans un ancien bâtiment officiel et trouvent sur le sol un discours de Brejnev puis une fresque dans une autre pièce, vestige de la grandeur des temps passés)... Je comprends que pour certains ce ne sera pas assez, rendant le film terne et tire-larme. Pour ma part, le principal est dit... Le décor se suffit à lui-même.
Il faut bien mesurer que la situation réelle dans ces pays de l'est, le chômage n'existait pratiquement pas (d'ailleurs il n'aurait pas du simplement exister si c'était clairement communiste). Les gens avaient beau se plaindre, ils avaient un salaire et un toit. En l'espace de quelques années, les activités se sont retirées, les travailleurs ont laissé faire ou au contraire ont appuyé la volonté de la concurrence et de la propriété privée (comme en Pologne, en République Tchèque). Cela a engendré un déplacement de capitaux vers les villes (alors que l'ancien système décentralisait ses forces productives et ne les accumulait pas sur certaines zones).
Quand la tante dit à Lilja dans le film : "Va à la ville et écarte les cuisses". C'est tout à fait exact et c'est ce qu'il reste à faire à Lilja si elle veut subvenir à ses besoins car l'emploi, ne serait-ce que d'avoir une utilité sociale dans un pays où la concentration de richesses est urbaine, le plus souvent cette richesse produite par les travailleurs revenant pour les investisseurs des pays étrangers, Lilja ne peut décemment pas trouver du travail dans cette compétition rude..
Et puis la mentalité ambiante, résignée (on connaît bien ce sentiment maintenant en France donc pas besoin que je fasse un dessin), fataliste, individualiste, cette mentalité qui te montre tout le temps que les hommes ont tout pouvoir sur toi, avec leur argent, avec leur force, cette mentalité collective qui affirme qu'il est normal d'aller en ville pour se prostituer, la population féminine et masculine finit par banaliser et y voir une normalité.
Voilà pour le contexte, particulièrement empreint d'abandon (d'où le personnage de Volodja, très intéressant), de deshéritage et de désillusion.
Autre personnage intéressant : le Loverboy.
Rarement, il est question de loverboy dans les films. Les auteurs n'en font pas la distinction avec le reste du proxénétisme. Pourtant, c'est un personnage voulu attachant qu'on ne reverra pas.
D'ailleurs, je ne sais pas ce qui manque mais je n'ai pas ressenti un attachement particulier pour ce personnage dégueulasse qui ne sait pas, qui est aveugle sur le mal qu'il fait.
Voilà, avec tous ces points mis bout à bout,
voilà pourquoi je dis que c'est suffisant.
Il y a des petits éléments que je trouve dommage. Par exemple, l'auteur a retiré la mère... qui est devenue une sorte de prostituée à sa façon. C'était un personnage capital selon moi... au travers de l'abandon justement.
L'auteur ne fait rien de la tante non plus...
Sorry Angel, sorry so
http://www.dailymotion.com/video/xchg0d_sorry-angel_music
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ELEMENTS D'ACTUALITE
Ce film est vaguement inspiré de la vie de la lituanienne Danguolė Rasalaitė qui, en se jetant d'un pont à Malmö en 2000, a relancé le débat sur la traite humaine. En 1998, la Suède adopte une loi pour pénaliser l'achat de services sexuels. En 2005, cette disposition législative est transférée dans le Code Pénal suédois où tout achat de services sexuels tarifés est reconnu comme un crime sexuel.
Dix ans plus tard, la Suède fait figure de modèle mais la Finlande a vu l'afflux de prostituées augmenter de manière exponentielle (il est évoqué cette immigration a quintuplé sur la même période). Cette misère poussée sous le tapis des frontières est, à mon sens, la preuve ultime que ce n'est ni les politiques prohibitionnistes nationales ni les directives européennes qui permettront d'enrayer la traite humaine mais bien l'arrêt total de toute idée de marchés capitalistes en ce domaine.
En 2013, la France présente son premier projet de loi de criminalisation de l'achat de services sexuels. C'est un strict minimum qui ne renverse pas la donne ni ne protège les femmes de ce monde.
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EN PLUS
Pour lire davantage de critique, de mon point de vue sur la prostitution et son rapport à la mondialisation capitaliste, je vous renvoie à mes critiques sur Girlfriend Experience (http://www.senscritique.com/film/Girlfriend_Experience/critique/17270691) et Slovenian Girl (http://www.senscritique.com/film/Slovenian_Girl/critique/20171843) - films qui ont l'avantage d'être tous complémentaires.
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CULTURE
Le mot "proxénète" est emprunté au latin proxeneta ; « celui qui s'entremet pour un marché ; courtier ».
Entre ce film et Jérôme Kerviel qui se voyait comme une gagneuse, il n'y a qu'un pas !