Critique publiée originellement le 22/01/2015 sur Filmosphere.
L’explosion du cinéma indépendant américain constatée désormais depuis quelques années, bien souvent labélisé par le festival Sundance, a fini par engendrer la formation de canons qui définissent une nouvelle mode. Et qui dit mode dit quelque part risque de formatage, écueil sur lequel Listen Up Philip s’échoue, au grand dam d’un spectateur ennuyé par cette tragicomédie bourgeoise additionnant méthodiquement les lourds poncifs de ce qui est désormais un genre à part entière.
Caméra à l’épaule et esthétique 16mm oblige, le Listen Up Philip nous plonge dès le départ dans une sorte d’héritage du cinéma de John Cassavetes, avec lequel se mêle une voix-off provenant de quelque part entre Wes Anderson et Jean-Pierre Jeunet. Avec cette narration un brin lourdingue nous est présenté le personnage de l’intrigue, Philip Lewis Friedman, un écrivain blasé et asocial en pleine crise de spleen. Et le problème est que, quelque part, le film s’arrête ici. Profondément antipathique, Friedman ne s’assure même pas l’intérêt du public pour son éventuel génie créatif, car après tout on n’aura jamais l’occasion de constater ses travaux. Tout le long de la quasi heure cinquante de film, Friedman est prisonnier d’une boucle autodestructrice, d’un mépris pour lui-même et pour les autres qui ne le fait jamais évoluer, voire une médiocrité dans laquelle il se complaît éventuellement. Il est compliqué d’endurer un personnage aussi bas-du-front et aussi unilatéral pendant tout le récit. Autre contexte et autre genre, bien entendu, mais on pourra toujours repenser au protagoniste principal de Winter Sleep, lui-même écrivain par ailleurs, et traversant passablement des moments « spleenesques », dissimulant pourtant habilement son antipathie latente au sein d’un personnage complexe.
Naïvement, on pourrait espérer l’évolution du personnage (pour le meilleur comme pour le pire) lors de la confrontation avec son mentor, Ike Zimmerman, avant de comprendre qu’il s’agit d’un personnage encore plus détestable. Au milieu de toute cette sinistre galerie, certains personnages viennent équilibrer le tableau en apportant un souffle de vie, mais finissent par être écartés ou sont maladroitement exploités. On repense à la fille du mentor Zimmerman, disparaissant totalement du troisième acte sur un coup de tête. D’autant plus que le point de vue du scénario étant éventuellement variable, ponctué par les interventions parfois malvenues de la voix-off, on se retrouve encore plus en dehors de ce récit où les enjeux des personnages ont de moins en moins d’intérêt. Ainsi de suite à tel point que l’on ne sait pas où Alex Ross, le réalisateur, veut en venir par rapport à son histoire et ses personnages.
Pourtant nul doute de la sincérité de l’ensemble, comme en témoigne, malgré la pauvreté de l’esthétique, l’usage de la pellicule, ou encore un casting qui parvient tout de même à donner un minimum d’âme aux personnages. Bien que Jason Schwartzman recycle une énième fois cette figure bonhommique blasée et cachée derrière une barbe, elle fait l’affaire et en parallèle on peut savourer la pétillante Elisabeth Moss, discrètement échappée de Mad Men. On pourrait même se réjouir d’apprécier Jonathan Pryce en vieux mentor cynique si cela ne s’ajoutait pas à tout le reste. Reste que l’Enfer est pavé de bonnes intentions et que l’on s’est fermement ennuyé dans un film où il ne se passe rien et où les personnages n’évoluent pas ou peu. Pauvreté des enjeux faisant, on se demande comment être touché par une histoire si superficielle, trop détachée de la réalité pour nous émouvoir, trop dénuée d’un peu d’esprit pour nous inspirer.