Splendide film sur les caractères humains à la fois irrationnels et prévisibles ; sur l'immaturité, la persistance dans l'erreur individuelle et collective, la cohabitation entre égoïsme et 'bon sens' social, la relativité des vertus (façon Desperate Housewives auto-critique pour la partie plus 'domestique') et des lâchetés ou ignominies. Larry 'le bon sens' en est l'incarnation la plus criarde, car toute sa vie repose désormais sur la fuite de sa propre responsabilité en jouant les défenseurs de la communauté – et s'acharnant sur un plus gros monstre, incurable lui, monstre à la racine – alors que lui, Larry, ne serait qu'un pauvre idiot impulsif, ce qui n'est pas un crime devant l'éternité.
L'excès et la caricature sont les bienvenus (comme dans un conte ou une comédie), la fausseté est le moyen des personnages et pas du film, l'effet dramatique en est décuplé. Toute la partie avec l'adulescent et la femme au foyer infidèles est passionnante malgré l'extrême banalité de l'histoire en elle-même ; elle suffisait à faire un puissant film de mœurs. Le versant avec le mi-homme pustuleux mi-bête blessée l'arrache à l'ordinaire et apporte une violence directe et des sentiments mêlés plus graves et perturbants. La scène de la piscine est édifiante sur la bêtise et la mesquinerie de la foule ; on préfère créer un grand scandale plutôt que gérer de façon lisse le problème – puisque le monstre s'apprête à être dégagé par la police de toutes façons.
Ce pseudo excès de prudence permet à chacun de vivre une bonne histoire sur le dos d'un taré en position d'infériorité ; il risque de troubler la sexualité de ces enfants en les exposant à cette partie-là de la vie par l'une des pires façons, c'est-à-dire en leur parlant de pédophilie, ou en créant une ambiance lourde autour de cet épisode à taire qui va nécessairement travailler l'esprit (sinon plus) des enfants les moins 'absents' ou légers. Qu'attendre de plus avisé d'adultes aux modèles et à la sagesse si faibles ? De tous côtés la moralité s'exprime par la négative ; Winslet raille la paranoïa punitive et la bigoterie sans dépasser ce relativisme de circonstance puis en cédant, presque par réflexe, à la panique et au conformisme dès que la situation est plus pressante ou le groupe mobilisé ; Mary Ann condamne les tentations auxquelles elle n'a pas eu l'occasion de céder. Son absence de courage ou d'opportunités lui tiendra lieu de vertu.
La conclusion est magnifique et offre une porte de sortie à tout le monde, après les nécessaires gifles et punitions permettant d'aller de l'avant plus librement, en abandonnant les lubies stériles pour se fixer sur ce qui a une chance d'enchanter et justifier son existence. Little Children a cette beauté : montrer les relations et les individus avec dureté, peut-être avec cruauté, mais sans une once d'hostilité ; passer au travers de la médiocrité, de la méchanceté, du fatal, décider que personne n'est jamais tout à fait perdu, que le plus effroyable des crapauds ou le plus vocal des imbéciles peut être réparé, en dépit des difficultés voire des aberrations sur lesquelles elle braque sa lumière.
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