[Critique publiée dans CinéVerse]
La mort de leurs parents ? Ils s’en moquent complètement. Négligés par des géniteurs déjà absents de leur vivant, quatre orphelins, quatre Little Zombies, fuient l’étape du deuil et se réfugient dans un monde de jeux vidéo, de musique et de plaisirs virtuels. Cet itinéraire d’enfants pas gâtés, écrit et réalisé par Magoto Nagahisa et primé au Festival de Sundance, est une comédie noire qui ne manque pas de casser les codes.
Hikari (Keita Ninomiya, vu dans Tel Père, tel Fils de Kore-Eda) et ses amis Takemura (Mondo Okamura), Ishi (Satoshi Mizuno) et Ikuko (Sena Nakajima), jeunes bambins tokyoïtes, devraient être attristés par les décès récents de leurs parents, selon les conventions d’usage. Il n’en est rien. La disparition des siens n’est déjà pas compréhensible pour les adultes, comment pourrait-elle l’être pour des enfants ?
Tue tes parents, tu verras c’est marrant
Bon nombre de réalisateurs de renom ont illustré l’enfance face à la mort, la violence de la perte définitive qui s’invite dans la période la plus innocente de la vie : Luigi Comencini avait joué la corde du drame néo-réaliste avec L’Incompris (1966) ; Rob Reiner celui du récit d’aventure façon Club des Cinq dans Stand by Me (1986) ; Juan Antonio Bayona avait filé la métaphore fantastique, dans le plus récent Quelques secondes après minuit (2016). Avec Little Zombies, c’est aux jeux vidéo que Nagahisa emprunte une décapante direction artistique, polygonant les avatars de nouveaux Gosses de Tokyo bien plus proches de Shigeru Miyamoto que de Yasujiro Ozu.
Amateurs de films d’horreur, lisez attentivement ce qui suit : Little Zombies n’est pas un énième film sur les morts vivants. Même si sa réalisation dynamique et sur-découpée rappelle celle de Edgar Wright dans le cultissime Shaun of the dead, les jeunes héros sont ici bien vivants, en bonne santé, et ne mangent le cerveau de personne. Mais ce sont des gamins solitaires, asociaux, biberonnés et baby-sittés par Nintendo – et finalement très heureux de l’être. Tout le tour de force ludique et jubilatoire de Little Zombies, réside dans sa capacité à réunir l’imagerie du zombie dans sa diégèse – les enfants s’identifient à des morts-vivants, apathiques et sans goût de vivre – et dans son extra-diégèse : l’habillage visuel du film emprunte les codes des jeux vidéo, des extra-life au game over, du pixel-art à sa bande-son 8bits.
Zombie Academy
Partant de cette forme originale, nos quatre protagonistes ont l’idée opportune de monter un groupe de rock, pirouette scénaristique permettant au film de développer quelques rebondissements drolatiques parvenant à combler les 120 minutes du film, à la rythmique parfois inégale. En redécorant le quotidien désabusé des adultes de leur grammaire électronique, ils montreront alors que les zombies ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Ce faisant, ces Kids United japonais dynamitent le drame social en une comédie musicale définitivement méta, à la curieuse poésie synthétique, où la dramaturgie et l’histoire n’ont finalement plus grande importance. Cet assemblage composite est indéniablement foutraque, bordélique et décousu, mais il s’avère extrêmement fun à suivre, bien que l’on ne dise plus « fun » depuis bientôt 30 ans et l’époque de la Super Nintendo.
Satire du monde réel des adultes, chronique vidéoludique de l’enfance orpheline, Little Zombies est une détonante surprise. Energiques, iconoclastes, irrévérencieux, les Jeux Interdits de cette bande de gosses, délicieusement instrumentés par une musique pétillante et une réalisation psychédélique, se dévorent des yeux et des oreilles.