2011, 4 ans après leur entrée fracassante dans le petit monde du cinéma de genre à la française avec le gorissime « A l’intérieur », les fanfarons Julien Maury et Alexandre Bustillo (ancien rédacteur chez Mad Movies), reviennent avec un film qu’ils envisagent comme très différent dans sa tonalité, plus atmosphérique, moins dans les débordements bis un peu adolescents de leur premier effort, tout en ne sacrifiant rien à la moindre tendance moderne. En bref, l’envie de perpétuer un cinéma fantastique un peu hors du temps, piochant dans des univers à priori éloignés mais ayant en commun leur appartenance à un genre alors tombé en désuétude, qui faisait les beaux jours des salles de quartiers des années phares pour le cinéma populaire européen. Quelque chose comme un croisement improbable entre l’horreur espagnole contemporaine et le baroque d’un Dario Argento, avec une pincée des « Lèvres rouges » et bien d’autres choses encore, formant un tout n’appartenant finalement qu’à ses auteurs.


31 octobre, nous faisons la connaissance de Lucie Klavel (Chloé Coulloud, au jeu un peu fragile mais assez attachante), jeune femme démarrant un stage en tant qu’infirmière pour personnes âgées, accompagnée de sa tutrice interprétée par une Catherine Jacob quelque peu agaçante mais dans le ton, pour une première journée se déroulant pour le mieux. Désœuvrée dans sa Bretagne morne où il ne se passe pas grand-chose, et prisonnière d’un passif familial tragique (sa mère s’est suicidée et son père s’apprête déjà à ramener une nouvelle femme à la maison, quelques mois seulement après le drame), elle décide sur un coup de tête, sur l’insistance de son petit ami (Félix Moati), d’aller cambrioler la maison de la vieille femme plongée dans le coma visitée la journée-même dans le cadre de son boulot. Avec un autre compère, ils se lancent donc à l’assaut de la demeure, persuadés qu’elle recèle un trésor, et que cela se fera rapidement et sans dommages. Bien entendu, rien ne se passera comme prévu et les mystères entourant la maison enserreront bientôt ce petit monde sous leur emprise délétère, entraînant une nuit d’enfer pour nos jeunes protagonistes dépassés.


Les cinéastes se sont nettement améliorés depuis leur premier coup d’essai, et même si l’on est en droit de préférer l’aspect brut de décoffrage de celui-ci, il est difficile de ne pas voir le pas significatif effectué par le binôme, tant en terme de mise en place de l’intrigue, de la caractérisation de ses personnages, moins sommaire que précédemment, et surtout dans l’habileté avec laquelle ils filment cette Bretagne tristoune, ainsi que le décor principal, dont chaque recoin ou objet est parfaitement mis en valeur. Il est suffisamment rare de croiser le chemin de cinéastes, quel que soit le registre, ayant compris la valeur d’une introduction soignée, et surtout d’un production design foisonnant, pour ne pas saluer les efforts fournis, surtout que ceux-ci sont ici récompensés par un résultat plus que maitrisé dans la forme. Mise en espace élégante, photo classieuse, direction artistique impeccable, seule manque une direction d’acteurs un peu plus solide, les jeunes comédiens, si sympathiques soient-ils, manquant un peu de nerfs pour emmener le tout à un autre niveau.


Cependant, difficile de ne pas saluer le premier degré ambiant, salutaire, surtout à posteriori, par rapport au cynisme actuel. L’envie de revenir aux bases d’un genre sali par trop de distance ou d’auto censure est ici évidente, et payante par fulgurances. Le souci principal étant, comme sur leur premier effort, et comme c’est le cas de beaucoup de premiers films, lorsque l’on a à faire à de jeunes auteurs craignant de ne pouvoir réaliser d’autres films par la suite, un sentiment de trop plein, comme une envie de tout mettre à l’écran, au cas où ce serait la dernière fois, donnant un résultat clairement bancal dont les différents éléments narratifs mis en place ont souvent du mal à s’additionner et à former un tout entièrement cohérent. Pire, on a parfois l’impression que les cinéastes mettent en place des éléments qu’ils ne parviennent pas à mener à leur terme, semant des indices à coup de scènes chocs régulières ne trouvant jamais de conclusion réellement satisfaisante, le spectateur devant du même coup remplir les brèches laissées en route. On verra donc Catherine Jacob enlever sur la route une jeune fille qu’elle étripera dans la baignoire, sans que jamais l’on ne réentende parler de ça. Bien sûr, on peut se douter de la raison de cet acte, mais la scène parait tout de même un peu gratuite au vu de ce qui suit.


On notera plein de belles idées visuelles, de l’ordre de l’inédit qui plus est, comme ce carrousel macabre, ou bien ces étranges animaux empaillés sur des corps « autres », autour d’une sorte de dinette, bien mises à contribution, tout comme le moindre objet cadré amoureusement, ne laissant rien apparaître d’un budget que l’on devine serré. A l’évidence, les erreurs du premier long n’ont pas été répétées, mais c’est une fois de plus par le scénario que le bât blesse, malgré une envie d’aller vers quelque chose de plus poétique et moins bourrin que les excès bis de leur coup d’essai. Et pourtant, malgré ces intentions clairement énoncées par le duo lors de la promo du film, ils ne peuvent s’empêcher de basculer dans la seconde moitié dans un gore poisseux dont les débordements ne sont pas loin d’évoquer un certain Lucio Fulci. Une référence glorieuse de plus, même si pour le coup on ne s’attendait pas spécialement à ça. Et si l’on est toujours heureux d’assister à ce type de choses sur un écran, il y a ici un sentiment de presque trop plein par rapport à l’ambiance plus posée du début. Comme une impression de déséquilibre tonal où chaque scène a tendance à annuler la précédente, passant du film de couloir avec ces jeunes déambulant dans une grande maison, à des moments gores exacerbés ou des images purement poétiques.


On ne peut que reconnaitre l’envie débordante de cinéma visible à chaque instant, et l’on en retient quelques images fortes, témoignant d’un talent certain à créer un monde, surtout dans un paysage cinématographique français ne faisant que peu de cas de l’imaginaire en général. Et il est appréciable de voir des cinéastes s’éloigner de la bonne vieille capitale pour aller filmer des lieux inhabituels, en évitant le naturalisme plombant la majorité des films d’auteur.


C’est donc un sentiment de frustration qui domine à l’issue du visionnage, entre la reconnaissance d’un talent en gestation occasionnant de vraies fulgurances, une générosité indéniable, et cet aspect bancal typique de nombreux représentants du genre, ne sachant pas où s’arrêter (vampirisme, lévitation, transfert d’âmes, ça fait beaucoup), mais pouvant également être considéré comme la principale qualité de l’œuvre, car l’exemple de son foisonnement et de sa sincérité attachante.

micktaylor78

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