Local Hero est une ode à l’Ecosse.
Avec brume à couper au couteau envahissant les hautes terres et dissimulant les petits lapins, avec maisons de pêcheurs alignées mais toutes dissemblables, avec pub et litres de whisky (garanti 42 years old) et kilolitres de pintes, avec fiddle et violoneux fous, avec autochtones chaleureux, généreux, et aussi chaleureusement pingres quand il s’agit de récupérer un magot, avec accent à couper au couteau et roulements de R plus que roulés (« differrrrrent »), avec colonie de dénommés Mac (et parmi eux, un révérend africain et un juif new-yorkais, délégué par sa compagnie pétrolière et qui finira plus écossais que les Ecossais), et aussi une plage magnifique, pleine de coquillages et de crustacés, et de phoques, presque méditerranéenne sous ces latitudes nordiques …
(Je me souviens effectivement, encore plus au Nord, dans l’archipel des Shetlands, au sud de l’île principale, d’une plage magnifique, un paradis solaire à l’été polynésien, l’effet Gulf Stream peut-être, la preuve que le soleil passe au nord, avec des phoques à proximité, des myriades d’oiseaux marins, et à la tombée de la nuit, en regardant bien, des hiboux blancs.)
Il y a aussi des pluies d’étoiles filantes, des aurores boréales – et c’est beau.
Mais Local Hero, c’est surtout un récit, aussi drôle, irrésistiblement, qu’intelligent. Et presque surréaliste, qu’on en juge,
Une compagnie pétrolière, une multinationale, en quête d’un terminal situé au cœur de l’Ecosse,
Un logeur, à la fois patron de pub, avocat, homme d’affaires (et plus qu’intéressé),
Un lapin, et plus tard (hélas), un civet de lapin,
Un couple de logeurs forniquant comme des lapins,
Le phare rouge d’un hélicoptère transperçant la nuit septentrionale,
Une sirène aux doigts palmés, capable de rallier à la nage les Bahamas depuis une plage écossaise,
Un grand échalas dégingandé en amoureux transi,
Un magnat du pétrole bien plus intéressé par les comètes, les pluies d’étoiles filantes et les aurores polaires que par les investissements de sa propre compagnie,
Un psychanalyste tentant de promouvoir (non sans risque) la thérapie par l’insulte,
Des collectes de pièces pour arroser la cabine téléphonique et permettre les conversations à destination de New York,
Une petite cabine téléphonique d’un rouge minium, en plein centre de la toile marine écossaise (on peut songer à la touche rouge, finalement transformée en bouée et ajoutée par Turner sur une de ces marines, pour un choc de couleurs, bien après la toile de Turner mais bien avant le film de Mike Leigh),
Un préposé (improvisé) à la cabine,
Un motocycliste casqué fonçant régulièrement sur les piétons (sans les voir ?)
Une punkette très rurale,
Tous les habitants du village sortant de l’église, et sortant, et sortant (comme un gag des Marx Brothers), ou regroupés, de front, sur la plage (et là on est plutôt dans le film de zombies – mais très innocents)
Un chalutier russe, arrivant de Mourmansk, et sortant du chalutier russe, un marin truculent, sosie soviétique et épais de Daniel Prévost, homme d’affaires aussi (et très intéressé), et amoureux de l’Ecosse …
(Je me souviens aussi, plus au Nord, du côté des Shetlands et dans les années 80, que les chalutiers russes croisaient dans les parages, pour cause de pêche ou d’autres stratégies, que les marins, souvent des étudiants en service civil, lorsqu’ils descendaient sur la terre ferme, à Lerwick, terre du sperme alcoolique, ne suçaient pas de la glace. Ils avaient même une technique, proprement sidérante, pour laper d’un coup de langue, la totalité d’une flasque de whisky, garanti 42 ans d’âge.)
Il y a aussi un robinson, un ermite (mais plutôt avenant) qui vit dans une cahute sur la plage, où l’on n’entre et d’où l’on ne sort que par son unique fenêtre, qui se nourrit des trésors rapportés par la mer et qui a hérité depuis la nuit des temps d’un fief inestimable – ce sera, pour les pétroliers, le très méchant et très définitif grain de sable.
Le message écologique est introduit avec tant de finesse, de légèreté et de nuance, jusque dans le cynisme qu’il passe très facilement ; du reste tous, ou presque, sont même d’accord pour remplacer la baie magnifique par une raffinerie , et pour les meilleures raisons du monde : la multinationale pour son expansion, les villageois, pour le boom immobilier et le pactole, les hommes d’affaires pour leurs affaires … Mais le pire n’est jamais tout à fait certain .
(Mais il n’est pas loin, sans doute. En Ecosse, et encore plus au nord, du côté des Shetlands, au début des années 80, la découverte du pétrole en Mer du Nord, l’installation des premières plateformes, puis les terminaux, les ports, les pipelines – tout cela allait ruiner, inexorablement, un écrin paradisiaque …)
Bref, tout le monde aura compris – j’aime l’Ecosse.