On peut beaucoup gloser sur la poésie à l’œuvre dans Locataires, (constituant ma rencontre avec l’univers de Kim Ki-Duk), qui semble à ce point obséder son auteur qu’elle gangrène l’œuvre dans son équilibre général.
Soit un film qui prendrait le contrepied du récit traditionnel en occultant les dialogues grâce à deux personnages mutiques, et en se dirigeant vers le graal de l’évanescence, à savoir l’invisibilité.
Si l’univers se pose avec un certain mystère, dans les rituels d’incursion du jeune homme chez l’habitant en son absence pour faire vivre de façon nouvelle un intérieur dans lequel il se fond, le récit tourne assez rapidement à vide.
Un principe du film est assez révélateur : parce qu’ils sont de marbre, les deux protagonistes suscitent dans leur entourage des réactions outrées et sur-explicites : celle du mari ou du gardien de prison. C’est là tout le déséquilibre que de vouloir nous vendre une histoire d’amour aussi poignante que marmoréenne, sur fond de funambulisme et d’ode à l’immatérialité sentimentale.
Certes, le cinéaste aux commandes atteste d’un certain savoir-faire, notamment dans son exploration de l’espace architectural, des salons cossus à la cellule dans laquelle l’apprenti homme invisible s’exerce, de la même façon qu’il cite certaines influences, comme le beau final du Blow Up d’Antonioni donnant à entendre des balles invisibles, passant du tennis originel au golf (et à un usage raffiné de violence comme seuls les asiatiques en sont capables).
Propre plastiquement, cadré avec rigueur, Locataires a tout d’une copie d’un bon élève qui voudrait « faire poétique » sans en avoir capté l’inquiétante étrangeté ou la rugosité. Ce n’est pas totalement vain, mais c’est loin d’atteindre sa cible, comme ces balles de golf qui frappent un filet devant une statue de marbre dans le plan d’ouverture.