Il y a définitivement quelque chose de troublant dans Logan, dixième film d'une franchise boiteuse et dont l'état de mort cérébrale a été prononcé déjà plusieurs fois. L'histoire se déroule dans un futur proche et nous montre un James Howlet, plus connu sous le nom de Logan, plus connu encore sous le nom de Wolverine, devenu chauffeur Uber alcoolique et dépressif pour de riches et insouciants américains. Le futur de Logan est tellement proche qu'il n'est que très peu futuriste. À la manière de Les fils de l'homme, avec lequel Logan partage beaucoup d'autres choses, l'univers du film baigne dans une extension plausible de notre quotidien plus que dans des délires high tech. Les augmentations du corps humain sont devenues une réalité, l'agriculture et le transport sont optimisés par des machines peu attentives à la sécurité des êtres humains qui les entourent. Un futur où les mutants sont une espèce disparue qui n'existe, littéralement, plus que dans les comic books. Fatigué, en colère, replié sur lui-même, grappillant des dollars avec un boulot qu'il déteste pour poursuivre un rêve inaccessible, Logan va être obligé de livrer un dernier combat.



Le mutant des hautes plaines



En effet la société Transigen a privatisé la vie et elle utilise des femmes mexicaines pour créer et élever de nouveaux mutants afin d'en faire des armes. Logan va devenir l'ange gardien d'un de ces enfants, une gamine rageuse et mutique du nom de Laura. S'en suis un road-movie où tout l'enjeu est de sauver ces enfants parias des griffes de la milice de Transigen en leur faisant passer la frontière vers le Canada, dernier lieu où l'espoir semble encore permis. D'une frontière à l'autre, la quête de notre héros qui fait tout pour sauver des immigrés (ils sont tous fils ou fille de mexicaines, sans identité officielle) des basse manœuvres d'une entreprise eugéniste et à qui l'argent offre tout (les enfants sont légalement leurs propriétés, ils sont même protégé par un brevet et leur milice privée se substitue aux forces de l'ordre) entre en résonance avec le contexte actuel. Bien sûr Logan n'est pas un film sur la présidence de Trump et ses acolytes d'extrême-droite, puisqu'il est sorti trop tôt (en mars 2017) et a été écrit entre 2014 et 2016. Cependant nul doute que le climat de la campagne et des primaires américaines a bercé un tournage qui se déroulait en parallèle (de fin avril 2016 jusqu'à la fin de l'année 2016). Il suffit par exemple de penser à cette scène où des jeux américains alcoolisés hurlent "U.S.A. U.S.A." à des latinos au pied d'un mur depuis le toit ouvrant de la luxueuse limousine de Logan. Cerise sur le gâteau le principal antagoniste du film est un blond arrogant qui répond au nom de Donald. Une référence que l'on imagine fortuite puisque le personnage est issu des comics et qu'il devait être présent lors de la validation du script, quand Trump n'était pas encore en position de force, mais elle prêtre à sourire. On ne peut pas dire non plus que Logan soit prophétique, pas plus que ne l'était M le maudit de Fritz Lang à propos d'Hitler ou They Live de John Carpenter à propos des émeutes de 1992 à Los Angeles.


Néanmoins, à la manière des deux exemples cités, Logan capte indéniablement l'atmosphère et les angoisses de son époque et les parallèles finissent par se faire d'eux-même. Au delà de Trump et de sa vision limitée du monde, c'est avant-tout le portrait d'une Amérique perdue qui se dessine en creux tout le long du film. La très belle séquence avec le personnage joué par Eriq La Salle, luttant contre des rednecks coupant l'eau et détournant les terres agricoles pour produire du soda, est là pour en attester. Si le monde de Logan n'est pas post-apocalyptique au même sens que ses influences revendiquées (bien évidemment le roman La Route de Cormac McCarthy qui a lui même fortement inspiré le jeu vidéo The Last of Us qui partage donc pas mal de similarité avec le film de James Mangold) il est assurément en proie à une apocalypse idéologique, ce qui par ailleurs donne une vraie pertinence à la dépression et à la mélancolie du héros.


Cette conscience de notre époque ne fait pas de Logan un film politique pour autant, le discours est ailleurs, mais ça lui donne une profondeur supplémentaire car elle participe à la réussite de l'ensemble. Logan n'est donc pas un brûlot, c'est un Western, genre né précisément des luttes autour des frontières nord-américaines. Un Western qui propose une remise à plat des méthodes de fabrication du blockbuster de super héros. La continuité avec les autres films de la licence n'est pas une priorité (et c'est tant mieux vu la connerie et les incohérences des derniers films X-Men) et le rythme échappe aux canevas ronflants du genre. De fait Logan s'éloigne volontiers de tous les autres films de super héros, qui sont bien souvent de simples produits fabriqués à la chaîne. Le monde Logan est désespéré, poussiéreux, écrasé par la chaleur et la fatigue. Les îlots d'espoirs jalonnent le récit mais ils sont piétinés les uns après les autres, sans ménagement. La lassitude que traîne Wolverine imprègne chaque moment, chaque lieu visité. Au cœur du récit : un trio de personnages très réussis. Logan est écartelé entre, d'une part, sa relation avec Xavier et, d'autre part, celle avec Laura.



Le télépathe, la brute et la sauvageonne



Patrick Stewart est véritablement touchant dans la peau d'un professeur Xavier qui a tout perdu, qui sait que sa dernière heure arrive mais qui, pourtant, continue de croire en la bonté du monde.Il est brisé par un événement tragique que le film ne nous montre jamais. Cette retenue, ce non-recours au flashback, donne toute sa force à ce traumatisme que l'on finit bien par comprendre sans avoir besoin de détails. Empêtré dans ses propres remords, Logan cherche comment aider au mieux le vieil homme. Le père spirituel et le fils adoptif s'aiment comme ils ne se sont jamais aimé auparavant à l'écran avec des vacheries mais surtout de vrais moments de tendresse. Cette relation explore bien entendu la réaction de Logan face à la mort, lui qui vit depuis si longtemps sans avoir jamais totalement trouvé sa place.
A l'autre bout du spectre la jeune Dafne Keen met Wolverine face à la vie. Les aptitudes de la fillette, sa rage, sa détermination, tout renvoie Logan à ce qu'il a été, à ce qu'il a raté. Mais si Logan a définitivement raté le coche de la vie heureuse il n'est pas trop tard pour celle que Transigen surnomme X-23. Mais comment trouver les mots justes ? C'est bien là aussi toute la difficulté d'être parent, surtout quand on ne l'a pas choisi et qu'il faut improviser. Là encore la relation marche grâce à une dynamique crédible. Dafne Keen n'a sans doute pas la justesse de Patrick Stewart mais elle tient son rôle avec conviction et sans jamais être insupportable, ce qui est finalement assez rare avec des gamins dans un blockbuster.


Au milieu il y a bien sûr Logan, incarné par un Hugh Jackman aussi hirsute que parfait. Un héros à l'ancienne : rugueux, fatigué mais pourtant tenace. Il jette toutes ses forces dans la bataille car il sait que Laura est sa seule chance de rédemption. Il faut le voir aller au bout de ses capacités physiques, défier la fatigue jusqu'à l'absurde. Suivre Logan dans ce film est réellement épuisant, psychologiquement d'abord : Logan ne recours pas au comic relief, les codes du western dramatique sont tenus jusqu'au bout. Physiquement ensuite grâce au superbe travail sur la photo (ce qui fait rudement plaisir après les mornes nuances de gris du MCU ou de Deadpool) qui le plonge, et nous avec lui, dans une environnement marqué par une chaleur aussi harassante que palpable. Chaque pas en avant est coûteux. Plusieurs fois les personnages s'arrêtent et se demande "à quoi bon ?" et à chaque fois ils continuent car la seule chose qu'il leur reste : c'est l'espoir.


C'est là où la filiation avec Les fils de l'Homme est la plus évidente : peu importe qu'Eden existe, peu importe qu'on ne sache pas s'ils ont vraiment réussi ou s'ils sont tombés dans un traquenard... ce qui compte c'est que le monde dans lequel ils évoluent ne veux pas d'eux et ne peut que les détruire. Dès lors un espoir, même très incertain, est suffisant et l'énergie déployée par Logan pour y arriver apparaît comme la seule issue possible. La caméra de James Mangold capte parfaitement tout ceci. Le film s'éloigne volontiers de l'hystérie qui habite les blockbusters d'action et lui préfère une tension sourde, lancinante, une sensation d'inconfort permanente. Au bout du rouleau mais surtout à bout de nerf Jackman/Logan titube sur la corde raide, cherchant l'équilibre. Et, inévitablement, inlassablement, la tragédie fini toujours par prendre le dessus.



Impitoyable



Les explosions de violence qui en résultent sont à la hauteur du désespoir des situations. Assumant enfin la sauvagerie caractéristique du personnage, Logan taille dans le vif avec des affrontement sans concessions. Au-delà de l'argument marketing inversé (n'oublions pas que ça fait 20 ans qu'Hollywood nage en pleine hypocrisie à ce sujet et expurge toute violence explicite de ses films d'action pour ne pas effrayer le jeune public) cette débauche de violence participe pleinement au tableau crépusculaire du film, on bascule en pleine folie. La violence et la souffrance font partie des personnages et de leur parcours, sans elles ça n'aurait pas de sens et là encore James Mangold l'a parfaitement compris. D'ailleurs au delà de l'aspect purement "choc" de certains plans bien gratiné, il y a une vraie efficacité dans le découpage de l'action et dans la restitution des impacts. En un mot comme en cent : ça fait mal, on y croit et on reste donc impliqué... bien plus que lors d'une énième séquence de destruction porn qui s'étire sur 40 interminables minutes. Logan a donc cette élégance des grands films d'exploitation, il propose un spectacle viscéral noué à un drame d'une noirceur totale, chaque aspect nourrissant l'autre en permanence.


James Mangold cite directement L'Homme des vallées perdues, western archétypal sur le thème du justicier solitaire et arrive à en réutiliser des éléments avec une certaine émotion non feinte. Au delà des codes du genre la réutilisation du western dans Logan permet de souligner l'autre grande réussite du réalisateur-scénariste James Mangold : redonner au comic book leur portée mythologique. Les États-Unis sont une nation d'immigrés et de colons, un pays jeune qui s'est construit en opposition à "l'ancien monde" tout en détruisant celui des autochtones. Le Western est leur grande mythologie : les héros en cache-poussière sont les référents de l'esprit états-unien. Mais le comic-books est arrivé pour compléter cette mythologie. Les dieux et Héros grecs des États-unis sont en bande dessinée, Wolverine c'est un peu Achille. Ce n'est pas la première fois que cette réappropriation mythologique par les comic books est abordée par le Cinéma mais les dernières lectures ont le mérite d'être particulièrement connes. Zack Snyder voit Jésus Christ dans Superman. Soit, c'est une théorie tout à fait défendable mais il se contente de multiplier les références lourdes (ho, il a l'âge du chirst, oh il est entouré de lumière divine, ho une position christique, etc...) sans jamais chercher à comprendre la nature du mythe qu'il exploite. Son Jésus à lui est un abruti égoïste qui domine par la force, une pure figure fasciste portée aux nues par une mise en scène grossièrement béate de son sujet. Hors Logan ne tombe pas dans ce piège car il retrouve tout ce qui fait de Wolverine/Logan/James Howlett un personnage si intéressant dans les comics books. Derrière le charisme animal, la posture, les pouvoirs complètement abusés il y a une vraie personnalité de juste, il n'aime pas ce qu'il est parfois obligé de faire mais il sait qu'il peut changer les choses. C'est aussi là le rôle primordial de Xavier dans l'intrigue : celui du guide qui rappelle à Logan qu'au fond il a toujours été un homme de bien et que c'est son destin. Logan n'a plus honte de dire que c'est une adaptation de comics. Vous vous rappelez le premier X-Men de Bryan Singer où Cyclops n'était qu'un bouffon et où on faisait des blagues méta sur le spandex jaune ? Ce temps est révolu. En assumant l'existence des comics au sein même de son intrigue Logan redonne à cette littérature sa portée mythologique et nous offre un héros que l'on l'admire pour ses aptitudes mais que l'on l'aime pour ses failles. Un héros qui nous inspire et qui remporte notre adhésion car il assume autant le poids de ses erreurs que la gloire de ses exploits.



Pale Rider



Du cœur et des tripes, voilà le menu proposé par Logan, film de super héros qui mériterait de faire jurisprudence. La condition de mutant de Logan importe finalement assez peu tant le film tire ses forces d'aspects beaucoup plus transversaux et universels. C'est avant tout une histoire d'espoir fou et de personnages qui s'accrochent les uns aux autres pour ne pas devenir complètement aliénés. C'est un western sanglant où la rédemption tient moins du besoin de se sentir mieux que de la nécessité d'offrir une chance aux générations futures. Ça sent la poussière et la sueur, les petites histoires se mêlent au grands drames. C'est à la fois tendu et touchant, viscéral et mélancolique, spectaculaire et humain. Du chaos émerge la silhouette de Logan, chancelant, titubant mais jamais complètement brisé. Hugh Jackman quitte la peau de Wolverine la tête haute avec le grand film de héros que méritait le personnage.


Libéré des carcans industriels de la machine Marvel, Logan est un flamboyant baroud d'honneur.

Vnr-Herzog
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le 2 avr. 2017

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