Haynes remet au goût du jour le mélo.
C'est sans originalité que l'on peut dire que Loin du Paradis pastiche l'œuvre de Douglas Sirk, Tout ce que le ciel permet (comme a pu le faire R.W Fassbinder avec Tous les autres s'appellent Ali). Pourtant dans ses propos, il accentue l'imaginaire de ses références pour les amplifier et mettre en scène un univers beaucoup plus prononcé que celui mis en place dans le cinéma classique, par un regard beaucoup plus acéré sur la société des années 50.
L'intérêt du mélodrame flamboyant réside dans utilisation de symboles et l'usure de clichés récurrents qui prennent du sens, selon le contexte du récit. Avec ce film, Haynes joue avec les codes du genre : les costumes, les décors, la musique, la lumière et le rapport au temps constamment en lien avec la caractérisation des personnages.
Mais le réalisateur adapte aussi le genre, au cinéma moderne en lui empruntant ses thèmes : la crise du couple, en requestionnant la société dont il est issu...
L'ouverture de Loin du Paradis adopte l'apparence du bonheur créé par le mythe de l'American way of life. Pourtant rapidement, on se rend compte que ses protagonistes ne sont que le reflet d'une moralité périmé. Haynes interroge l'Amérique et ses promesses non tenues.
Il réinvente le mélo à la Douglas Sirk, en radiographiant le « pays de toutes les opportunités » où les noirs et les homosexuels sont mis au ban de la société et « où la poursuite du bonheur passe par une maison bien rangée ». De façon quasi-organique, il nous livre un regard sur la douleur de vivre. La vague lyrique et romantique prend, au fur et à mesure du temps, la tournure d'un mal être, d'un malaise équivoque, de la déconfiture d'un monde, qui avec une fausseté solide, refuse de voir la fragilité de ses convictions se démanteler. La couleur se veut volontairement brutale et irréelle pour accentuer les propos du film et démontrer l'apparence dans laquelle se dérobe la société décrite. L'envers du décor est alors dévoilé de manières plus effroyables, derrière une souffrance et une tristesse palpable.
Ce film est volontairement une reprise du mélodrame flamboyant qui compare la société des années 50 à celle d'aujourd'hui, aux États-Unis. Malgré cette beauté visuelle, il traite d'un monde fissuré de l'intérieur où la liberté est encore reniée au profit des conventions imposées. Todd Haynes impose un exercice de style en développant des sujets encore interdit à l'époque traitée, par le Codes Hays (racisme et homosexualité) en développant l'artificialité pour toucher le réel dans sa profondeur la plus palpable : le réalisme des sentiments. Ainsi, par cette approche sensible du genre, il interroge le spectateur sur sa perception, sur ce qu'il voit et croit voir alors que tout n'est que purement superficiel.