Il est des découvertes qui ne se passent pas tout à fait comme prévu, dont on ressort un peu déçu parce que tout était sur la table pour un gueuleton endiablé, et pourtant lorsque la ponctuation caféinée sonne la fin du repas, les papilles ne sont pas complètement rassasiées. Le plat de résistance a manqué d’un peu d’assaisonnement pour remporter complètement l’adhésion.
Lord Jim m’a fait cet effet, celui d’un bon film presque impossible à remettre en question mais beaucoup trop sage, pas assez poreux pour m’emporter jusqu’à la fin sans que je soupire un petit peu. Une petite pointe d’agacement parce que le film est d’abord beaucoup trop long pour ce qu’il raconte : 2h30 pour dérouler un propos qui manque cruellement de retenue finit par épuiser sur le long terme. Mais surtout pour tous ces discours démonstratifs et langoureux destinés à donner de l’épaisseur à sieur Jim, cœur pur touché par le complexe de l’héroïsme, qui sont tellement écrits qu’on finit par décrocher de leur sens profond, ce dernier trouvant pourtant enfin sa portée en fin de bobine, lorsque Brooks trouve enfin la métaphore efficace pour faire la lumière sur la frontière ténue qui se joue entre la lâcheté et l’héroïsme. Une phrase dont le fort impact suffisait à caractériser les tourments du Lord, mais qui s’impose bien trop tard, après des heures de plaidoirie qui ôterait presque à Lord Jim son caractère épique de récit rédempteur à la belle densité.
Parce que si l’on ôte au film de Richard Brooke tout son gras humaniste un peu laborieux, il reste un sacré récit d’aventure. Une fresque ambitieuse qui se finit en pleine jungle pour des affrontements techniquement maîtrisés qui forcent le respect. D’autant plus qu’ils sont menés tambour battant par un Peter O’Toole complètement investi dans son rôle de Leader sur le retour, en quête de rédemption. Son duel épique avec Eli Wallach, croustillant en salopard de la pire espèce, mais marqué du seau des hommes sacrément burnés, arrive à point nommé pour sortir le film des sables mouvants de la thèse littéraire dans lesquels il s’était un peu embourbé.
On se prend alors à imaginer pareil film sans cette carte convenue qui lui fait enchaîner les balises évidentes du portrait qu’il brasse. De cette introduction sous voix-off dépeignant un jeune homme aux rêves d’aventure plein la tête qui se casse les dents face à sa couardise légitime avant de courber définitivement l’échine, sans jamais se laisser la chance de relever la tête un jour. Le portrait est trop exagéré, et jamais réellement surprenant dans son déroulement. Alors quand l’espoir d’un bonheur potentiel irradie enfin l’écran, sous les traits de la jolie Daliah Lavi, on se prend à sourire devant le côté trop providentiel de la jeune femme. Tombée du ciel, comme un cadeau divin, dont le prénom reste inconnu, et éprise de ce jeune capitaine au regard noir dès le premier regard qu’elle lui porte : c’est un peu court, en tout cas trop soudain pour sembler crédible. Ce sentiment de se faire un peu balader se prolonge jusqu’à cette fin pourtant très belle, mais tellement théâtrale, qu’elle fait l’effet d’un ultime pied de nez dans la facilité d’écriture, pour laisser dans l’esprit d’un spectateur, quelque peu désabusé par tant de bons sentiments, une compassion soudaine née du romantisme de la situation.
Lord Jim est un joli film d’aventure, qui ravira les plus romantiques et portera en pleine mer les moussaillons en devenir qui sauront se contenter d’un discours sage et sans grand risque. Le fond qu’y déploie Richard Brooks est certes inattaquable parce que universel, mais semblera trop lisse aux esprits retors qui aiment les fables un peu plus rugueuses. Ceux là apprécieront le voyage pour sa technique et ses belles ambiances, mais ne pourront s’empêcher de trouver l’ensemble un peu trop convenu.