Le pitch de "Lore" sera des plus alléchants chez toute personne manifestant ne serait-ce qu'un vague intérêt pour la période et les enjeux liés à la Seconde Guerre mondiale : livrés à eux-mêmes après l'arrestation de leurs parents nazis, une adolescente et ses petits frères et sœurs traversent l'Allemagne au lendemain de la guerre. On imagine les nombreuses problématiques de cette période transitoire, la richesse des enjeux ayant trait aux différentes populations à l'heure de la reconstruction, le tout éventuellement circonscrit au cadre d’un récit d'apprentissage dans un environnement plutôt original... Eh bien non, rien de tout ça. En lieu et place de ces espoirs (déçus serait un mot bien faible : broyés, pulvérisés, désintégrés sont des adjectifs qui conviendraient beaucoup mieux) naïvement entretenus, un film absolument infect, manipulateur, à exécrer tant sur le plan moral qu'esthétique.
De ces thématiques de choix et de cette configuration historique si particulière, l'australienne Cate Shortland ne tire rien de bon ou de subtil. Pire : je ne connais pas cette réalisatrice, mais ce film fait preuve d’autant de retenue qu'un 36 tonnes lancé à pleine vitesse. On enchaîne les situations abjectes et putassières, les musiques pompières quand elles ne sont pas larmoyantes, et les cadrages à valeur pseudo-esthétisante avec une application rigoureusement stakhanoviste. L'illustration parfaite d'une absence de rigueur voire de bon sens esthétique : l'essentiel de l'action est filmé en téléobjectif, la caméra rivée sur des détails au mieux insignifiants, au pire tout à fait répugnants. Cerise sur le gâteau, cette succession de postures supposées artistiques est parfaitement étrangère au concept de stabilité. Aucun plan ne s'inscrit dans la durée, ils sont toujours perdus dans le flot écœurant d'une action filmée caméra à l'épaule.
Et en termes de sordide gratuit, malsain et crétin, allons-y gaiement : des images sales et dégoulinantes de pathos, en veux-tu en voilà. Une mère froide et sadique qui n'éprouve aucun regret ou sentiment au moment de quitter ses quatre enfants alors qu’elle va mourir, des voisins forcément caricaturés comme de gros connards envers ces nouveaux orphelins, une femme violée filmée avec la même esthétique léchée que le champ de blé de la séquence précédente, avec le sang si photogénique et les jolies fourmis dessus, des cadavres qui pourrissent, etc. Loin de moi l’idée de nier une certaine réalité, une certaine atrocité, mais l'instrumentalisation des images qui est orchestrée afin d’en extraire le plus pur pathos est purement et simplement scandaleuse. Non, vraiment, il faut voir ces plans serrés sur le trou dans l'œil d'un homme qui vient de se suicider pour mesurer le niveau d'abjection morale, il faut voir la réaction de la gamine qui prend la main d'un quasi-inconnu et la lui fourre instinctivement dans sa culotte pour mesurer le degré de stupidité de l'entreprise. Toutes les personnes que les enfants rencontrent sur leur chemin sont des enfoirés d'opportunistes, des pervers en puissances, des enflures refusant toute entraide et monnayant tout service (en cash ou en nature, évidemment). Le genre à tirer sur un gamin de 8 ans on ne peut plus innocent sans autres raisons que celles exigées par un scénario stupide et pernicieux.
Bref, en un mot (ou deux) comme en cent : à fuir.
[Avis brut #29]