Tension de famille
Luisa, son mari Emilio et leur fille de 14 ans, Ana, arrivent pour le Nouvel An dans la maison de campagne familiale. Une chronique familiale comme on en a vu déjà un certain nombre dans le cinéma...
le 9 août 2020
La réunion familiale pour une occasion particulière, ponctuelle ou récurrente, dans une maison emplie de souvenirs, est une thématique si fréquente au cinéma que l’on ne saurait dénombrer les films qui s’organisent autour d’elle. La réalisatrice et scénariste argentine Paula Hernández (16 octobre 1969 -) propose une approche singulière, puisqu’elle connecte ce topos à celui du somnambulisme. Quelle forme, quelles formes va pouvoir prendre une telle réunion, lorsqu’elle se produit au sein d’une famille dont les membres sont tous atteints de somnambulisme, et lorsque la mise en vente de la maison d’enfance par l’aïeule et veuve (Marilú Marini) provoque des réactions divergentes chez ses trois enfants ?
Est ainsi mise en place une petite cellule familiale, rejoignant ce lieu pour le Réveillon ; fête annuelle qui, en Argentine, s’inscrit au cœur de l’été… La mère, Luisa (magnifique Érica Rivas), est une traductrice reconnue qui délaisse passagèrement cet exercice pour renouer avec celui, plus intime et livré au silence depuis plusieurs années, de l’écriture. Cette réconciliation n’est sans doute pas étrangère à l’entrée de sa fille Ana (Ornella d’Elía, très convaincante) dans l’âge adolescent, une entrée marquée, dans la scène d’ouverture, par la survenue des règles. Face au monde intime de ces deux femmes, le père, Emilio, campé dans toute la difficulté du rôle par Luis Ziembrowski.
Les retrouvailles avec la famille paternelle vont placer aussi bien Luisa qu’Ana au sein d’une convergence de regards masculins, souvent désirants, parfois eux-mêmes désirés. À celui du père s’ajoutent celui de l’oncle et beau-frère, Sergio (Daniel Hendler), également responsable de la maison d’édition où travaille Luisa, et celui du cousin et neveu, le troublant Alejo (Rafael Federman), dont on comprend que sa post-adolescence a connu une phase difficile.
L’eau est très présente, sous forme sonore et onirique dans la scène initiale, puis de façon répétée, soit dans le geste très symbolique du lavement des pieds (quelle souillure doit-elle se trouver effacée ?), soit dans sa dimension accueillante, lorsque, recherchée pour échapper à la chaleur, elle permet le bain, et par là même le jeu des corps. Or c’est effectivement sur un mode très aquatique, presque marin, avec flux et reflux, que Luisa et sa fille, parfois complices, parfois rivales, évolueront dans le bain de ces désirs masculins, parfois s’en approchant, parfois cherchant à s’y soustraire…
La caméra très sensible d’Iván Gierasinchuk excelle à recueillir aussi bien la lumière verte et jaillissante de l’été, lors des scènes diurnes baignées de chaleur, que le clair-obscur incertain et séducteur des scènes d’intérieur ou des moments de nuit, avec toutes les libérations mais aussi toutes les déraisons que cet espace-temps soustrait aux lois solaires favorise.
Même sensibilité très adéquate dans la musique de Pedro Onetto, très discrète, et qui, parfois présente, parvient néanmoins souvent à se faire oublier, ce qui est presque un indice de réussite paradoxale pour la musique de film.
Paula Hernández signe une nouvelle réalisation qui, bien que s’inscrivant dans une longue tradition, laisse une impression durable, reflet de toute l’ambiguïté des jours et des nuits d’été, flottant quelque part entre bien-être et inquiétude.
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le 14 août 2022
Modifiée
le 14 août 2022
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