Ma rencontre avec Lynch a été comme un rêve.
Une nuit de canicule en plein été angevin, alors que je somnolais devant la télévision, luttant contre la chaleur étouffante de l’été, me vint comme une vision : deux phares allumés fonçaient à toute “berzingue” sur une autoroute perdue dans la nuit. David Bowie chantait I’m deranged. Les écritures défilaient, la route ne semblait jamais s’arrêter et la musique de Bowie paraissait interminable. C’est alors que, il me semble, je replongeais dans le réel, ce que je voyais ne se passait pas dans ma tête, mais c’est bien la télévision, seule source lumineuse de cette nuit noire et silencieuse, qui passait ces images lancinantes. À ce moment précis a commencé ma rencontre avec le réalisateur, avec ce plan sur Fred Madison, personnage principal du film, baigné dans une pénombre que seule la lumière d’une cigarette vient troubler. Il semble n’y avoir aucun son quand soudain le volet s’ouvre, troublant le silence, puis sonne l’interphone où une voix d’homme répond simplement :
“Dick Laurent is dead”
Ça y est, je rêvais.
Dans Lost Highway, sorti en 1997 et d’une durée de 2h14, David Lynch nous plonge en plein cauchemar.
C’est en effet après une introduction plus que mystérieuse, à la fois silencieuse et lente, que nous apparaît pour la première fois le visage de Robert Blake, qui campe un homme mystérieux tout droit sorti de notre pire cauchemar. C’est ce visage, au sourire malsain et aux yeux écarquillés, ne clignant jamais, qui hantera notre pensée pour toujours. À Travers celui-ci, on ne peut croire être dans le réel, on part définitivement dans une histoire sans fin, laquelle semble nous hypnotiser, nous montrant cet homme (Fred Madison), visiblement assassin misérable de sa femme, qui, pour s’évader de sa condition, étant destiné à la chaise électrique, semble se transformer en un autre homme. Plus jeune, Pete Dayton est alors libre d’avoir une nouvelle vie devant lui. Mais alors que Pete semble avoir une vie relativement banale, la figure de Patricia Arquette, jouant à la fois Renée - la femme de Fred - et Alice, hante maintenant le nouveau protagoniste, condamné à suivre les traces de son homologue Madison.
C’est donc dans un récit relativement déconstruit que le spectateur tente, péniblement, de séparer le vrai du faux, le réel et ce qui s’apparente à un rêve. C’est dans un condensé de violence, appuyée par un travail sonore toujours très important chez lui, que le réalisateur nous plonge. Pourtant lorsque le film se termine là où il avait commencé, sur cette autoroute perdue, on semble se réveiller, incapable de dire si ce que l’on a vu était vrai, si on l’a vécu ou bien si c’est bien l’écran qui nous le diffusait. On se sent alors comme après avoir somnolé sur un trajet nocturne en voiture, quelques instants sont nécessaires à nous repérer dans notre réel.
C’est ainsi que s’est terminé mon premier visionnage de Lost Highway, dans la chaleur étouffante d’une nuit caniculaire, sur une autoroute perdue ou dans un pavillon angevin, je ne saurais plus dire.
Jusqu’à revisionner le film récemment, j’avais comme oublié la moitié du film, comme si cela s’était passé en rêve. Tout ce qui me restait étaient des ambiances, une chaleur étouffante, des sons, et le visage de l’homme mystérieux, saupoudrant le film d’une teinte onirique. Je savais pourtant que ce que j’avais vécu cette nuit là était particulièrement fort et que le film m’avait changé, bouleversé. Ce sont ces questions, auxquelles le film ne répond pas clairement, et qui d’ailleurs ne sont pas claires elles-même, qui donnent à ce film un mystère global et qui marque l’imaginaire à jamais. Jouant aussi bien avec la lumière, la musique et le montage, David Lynch crée un récit qui semble logique dans sa chronologie mais qui pourtant nous perd, nous force à nous interroger sur la nature du réel. Notre perception de la temporalité et de la réalité est alors totalement dérangée, comme nous le chante à nouveau Bowie à la fin du film, de la même façon qu’il nous en avait averti au début.