J'étais parti pour mettre 7. N'ayant pu écrire et noter juste après avoir vu le film (maintes fois conseillé ici et ailleurs, merci au passage), le constat à froid est sans appel: je dois me résoudre à monter la note. Et si c'était ça le secret pour apprécier pleinement une oeuvre de Lynch ? Un temps accordé à la digestion d'une explosion de saveurs atypiques.
Véritable point névralgique du film, Patricia Arquette est parfaite, tour à tour soumise et manipulatrice. Un fantasme sur (magnifiques) pattes. Ange et démon. Une dualité constante. Affublée d'un vieux pervers, c'est Alice au pays du vermeil. Accouplée au jeune loup, elle devient Alice dans l'Evil. Elle renaît, tandis qu'en compagnie de son mari, Renée est lisse. Bill Pullman est solide en mari désabusé face à l'horreur et au mysticisme qui l'entoure. Accusé d'avoir tué sa propre femme, qu'en est-il réellement ? Balthazar Getty, que je situerais quelque part entre Charlie Sheen et Liev Schreiber sur le plan physique, donne la réplique à un excellent Robert Loggia. Et que dire de Robert Blake, si ce n'est qu'il déploie une grande touche de mystère, en soulevant plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Si magnifiquement entouré, Lynch n'a plus qu'à dérouler en proposant un puzzle intrigant, inquiétant, teintant son récit de film noir et d'ambiance malsaine, renforcée par une bande originale de grande qualité. De Bowie à Rammstein en passant par les Smashing Pumpkins, et aussi quelques reprises, le tout accompagne à merveille cette danse macabre entre rêve et réalité.
Ne l'oublions pas, dans l'univers du réalisateur, rien n'est rose, tout névrose. Pour mener à bien son délire hallucinatoire et halluciné, il réalise un travail somptueux sur la lumière. Jeux d'ombres, de couleurs, un éclat de noirceur traverse chaque plan. L'ensemble est extrêmement maîtrisé. A mon sens, la richesse de "Lost Highway", en plus de son ambiance si singulière, est de donner une grande responsabilité au spectateur. Ce n'est certes ni une première ni un one shot pour le géniteur de "Mulholland Drive" et "Twin Peaks", mais j'ai trouvé l'essai particulièrement réussi ici. David fournit des clés, et aucune explication. Pas de notice. Sans doute inspiré par le gouvernement français, il s'est probablement dit qu'il valait mieux que le manuel valse. De là, il incombe (et décombe) à tout un chacun de recoller les morceaux. Grâce aux couleurs, à la symbolique, à l'enchaînement de scènes pas toujours cohérentes à premières vue, et auxquelles il faut donner un sens et une chronologie. Quelque part entre le psychanalytique et le sensoriel réside sans doute la meilleure approche à tenir face à une oeuvre devant laquelle il faut batailler et succomber. A condition de faire l'effort, ou simplement d'être dans de bonnes dispositions pour tenter autre chose que du prémâché.
Il me tarde de revoir "Lost Highway" et de me perdre en route, encore. Je sais d'ores et déjà que la voie que j'emprunterai sera différente, l'oeuvre de Lynch étant livrée sans GPS.