Le lecteur certifie avoir conscience de la présence de spoilers dans cette critique et jure devant le cinéma qu'il la lit en toute connaissance de cause.
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Lost in Translation raconte une histoire simple, classique, comme le cinéma en a fait des centaines, voire des milliers, ou des centaines de milliers, je ne sais trop. Il raconte l'histoire d'une rencontre entre deux personnes, rencontre qui les mènera à l'amour. Un tel scénario est tellement basique, usuel, que de nos jours on pourrait se demander comment il pourrait donner naissance à autre chose qu'à un film cliché, peut-être bon, mais juste divertissant.

Sofia Coppola répond à cette interrogation.

On assiste tout d'abord à la présentation des personnages, l'un après l'autre, on voit leur vie, on voit ce qu'ils sont, on les voit vivre.
Bob est un vieil acteur du cinéma, recyclé dans les pubs qui l'ennuient, oppressé par son monde qu'il n'aime plus, dans sa vie qu'il n'aime plus, dans laquelle il a assez vécu. Sa vie n'est plus alimentée par l'amour qu'il avait auparavant, par le plaisir constant de vivre un tel amour, à présent il ne manque plus à sa femme, juste à ses enfants qui s'habituent à ne pas le voir, et dont il oublie jusqu'à l'anniversaire.

Charlotte est jeune et jolie, mariée à un photographe reconnu qui ne s'occupe plus d'elle comme elle le voudrait, et elle ne vit tout simplement pas comme elle le voudrait. Loin de ses rêves, loin de son bonheur, décalée dans ce monde, on la voit triste et rêveuse.

Et puis ils se rencontrent, et le film les suit dans la relation qu'ils mènent. Et là, quelque chose se crée, quelque chose naît entre eux. L'amour tout simplement.

Ce qui rend tout ceci aussi fort, aussi unique, aussi merveilleux, ce n'est autre que la caméra de Coppola. Elle s'attarde sur les émotions, sur les visages, sur les gestes avec une finesse extraordinaire. Elle filme avec délicatesse, sur un ton à la foi léger, à la foi triste, la relation que mènent ses personnages. Nous les voyons vivre, tout simplement. Mais chaque émotion dans chaque regard, dans chaque geste, dans chaque expressions est ressenti par le spectateur. L'amour n'est jamais dit, jamais avoué, nous ne les voyons qu'ensemble mais ils ne sont pas en couple, de par leurs situations qui rendent cet amour impossible, il n'est pas dit mais il se ressent. Le spectateur le ressent, et est touché par cet amour, par ce couple qui n'en est pas vraiment un. Si bien que lorsque Bob couche avec une chanteuse de bar, nous le vivons comme une trahison envers Charlotte, et elle le montre bien.

Mais l'on est touché, mais l'on ne sait pas trop pourquoi. On ressent quelque chose, au fil de l'évolution de leur relation, et cela devient de plus en plus fort. Et c'est inexplicable, car Sofia ne montre que des choses simples, que des moments de vie qui peuvent paraitre sans importance, des moments de tous les jours (sauf que c'est dans un cadre dépassant le commun des gens de la basse société comme nous, bon). Comme je l'ai dit, elle ne montre que des regards, des propos échangés, des éclats de rire, de la vie. Oui, de la vie chez ses deux personnages qui au début nous semblaient sans vie, sans amour pour la vie en tout cas. Et ça y est, nous les voyons vivre. Et ce que nous ressentons, c'est tout simplement la magie de la vie, la magie de l'amour, le bonheur de profiter de chaque instant, de chaque regard, de chaque sourire, de chaque parole, de chaque geste, le bonheur de vivre enfin quelque chose, le bonheur d'aimer ce que la vie nous donne et très certainement aussi le talent de Coppola fille.

Avec toute cette légèreté, toute cette tendresse dans la réalisation, avec tous ces passages drôles, et ces passages d'amour transmis en un regard, on pourrait penser à un film sur l'espoir de l'amour.
Mais non, pas exactement. Car nous les voyons enfin prendre gout à la vie, et nous assistons à leur séparation. Ils doivent s'en aller chacun de leur côté, car leur voyage à Tokyo se termine. Et on assiste à la fin de cet amour inavoué, à la fin de cette relation éclatante, à la fin de ce bonheur qui n'aura jamais l'occasion de naître sous son vrai jour.
La caméra de Coppola, si elle peut être tendre, se révèle triste. Les nombreux plans sur les regards vides des deux personnages en témoignent nettement, et la fin, cette séparation en est la concrétisation.

La film offre une réflexion sur le mariage, sur les relations et leurs évolutions, une réflexion sur l'amour et sur les rencontres. Le film a une certaine profondeur qu'on ne peut nier. Une profondeur qui se révèle à mes yeux triste.
Triste mais beau. Mélancolique.
Quoi de plus merveilleux que cette scène, qui pourtant est prévisible au possible, de leur baiser final, seule concrétisation de l'amour qu'il se sont portés ? Et pourtant, pourtant, je suis peut-être fleur bleu mais j'en ai versé des larmes, des larmes de bonheur envers cet amour, et de tristesse devant cette séparation.

Des acteurs excellent, une BO excellente, et une bonne photographie servent une réalisatrice au sommet de son art.

(Evidemment cet avis est basé sur ce que j'ai ressenti, et n'engage que moi, néanmoins certains points sont objectifs)
GagReathle
8
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le 21 nov. 2010

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