Sur près d'une quinzaine d'années, trois heures de pellicule et six bobines de cinéma Jonas Mekas coupe, recoupe et regroupe ses souvenirs d'exil : loin de sa Lituanie d'origine - maison natale, madeleine ou autre album-photo mémoriel - le réalisateur nous plonge dans un édifiant journal filmé au coeur duquel son frère et lui-même évoluent au fil des bribes filmiques, innombrables morceaux de temps scellé témoignant de la déroute d'un poète résolument unique en son genre.
Lost, Lost, Lost est à l'image de son créateur : délibérément désaxé, foutraque et d'une liberté tout à fait inouïe ce journal filmé ne semble d'aucun bord, d'aucun pays, d'aucune patrie. En poète meurtri, littéralement déraciné Jonas Mekas se définit avant tout comme l'instigateur d'une nouvelle forme de cinéma contre-culturel, mettant un point d'honneur à placer sa perpétuelle soif d'enregistrement d'images en tout genre sous le signe de l'évocation, et plus même : sous celui de la réminiscence. Il montre tantôt son frère Adolfas, possible alter ego créateur, s'attelant à la tâche d'une longue et mystérieuse rédaction, tantôt un couple d'amis avec lequel il semble - le temps d'un week-end - partir en villégiature, tantôt des dignitaires lituaniens sous la pression du gouvernement américain, tantôt des scènes festives puis par instants des moments de création filmique montés de manière pratiquement structurelle par ses soins. C'est erratique d'un bout à l'autre, parfois bouleversant dans sa portée identificatrice et diablement filmé par Mekas.
Film-monde, duquel chaque plan constitue une véritable définition ontologique et/ou existentielle de son auteur ( ledit journal, d'une certaine façon, avance par à-coups, comme un petit garçon recollant précieusement quelque jouet brisé par le Temps ) Lost, Lost, Lost est une Oeuvre farouche, exigeante mais salutaire pour qui aura la chance de s'y perdre : une autobiographie filmique remarquable, essentielle pour mieux comprendre - autrement dit connaître - le regretté Jonas Mekas.