Un certain nombre d’éléments contribuent à condamner d’emblée Lost River : le BG jeune premier aux commandes, sa laborieuse envie de bien faire et les lourdes influences dont il s’encombre.


Tentons de le considérer comme le premier film d’un réalisateur inconnu avant de lui intenter tout procès.


Le film commence sous les meilleurs auspices : doté d’une photographie superbe, il fait de la ville sacrifiée par la crise un personnage martyr, par l’entremise d’un réalisme esthétique qui la fait basculer dans un récit qui pourrait être d’anticipation. Il est aisé de faire des liens entre cet univers décati, où l’on pille le cuivre, et les problématiques de Mad Max 2, par exemple. Toujours sur le fil, le scénario ne tranche jamais véritablement, et insiste sur une crédibilité destinée à amplifier l’effroi face à ce dont l’humain serait capable. On retrouve ici des thématiques propres au père spirituel qu’est Refn, particulièrement dans Only God Forgive : intérieurs sombres, pervers raffinés et un goût prononcé pour un gore chic qui n’est pas toujours du meilleur effet.


Dans Lost River, tout est crépusculaire au point d’atteindre assez fréquemment le grotesque, le plus souvent involontaire. Maman sera pute, Mamie camée devant la télé, et la jeune génération oscillera entre sacrifice et révolte. Les méchants seront des psychopathes ostentatoires, et le tout sera servi dans un récit à trames multiples, accentuant une construction musicale qui peine à s’affranchir des modestes ambitieux d’un clip un peu dark ou d’une publicité à la photo ultra léchée. Il ne suffit pas de filmer des soirées déviantes pour atteindre les noirceurs hypnotiques de Lynch, dont le film convoque plus que de raison les séminaux Blue Velvet ou Mulholland Drive.


Car c’est bien là l’une des grandes limites du film : sa difficulté à trouver un point d’équilibre, entre son désir de provocation (attention, ultraviolence et gore), son positionnement arty (attention, mise en scène soignée et primat accordé à l’imagerie sur le discours, night clubs, avenue nocturne et incendies) et son pathos mal assumé (jeunes protagonistes héroïques, danse amoureuse dans les ruines et apnée pour sauver la ville sur le mode conte de fée) ; se dépêtrant assez gauchement dans ce maelström d’influences et d’ambitions disparates, Ryan Gosling ne sait plus trop où donner de la caméra.


Il n’empêche : cela aurait pu être bien pire en terme de naïveté, et si l’esthétisme est un peu trop appuyé, il n’en est pas moins souvent pertinent. Il reste à espérer que l’apprenti cinéaste saura tirer les leçons de ses excès originaux en poursuivant dans cette voie malgré tout prometteuse.

Sergent_Pepper
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le 26 oct. 2015

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