Iconisé au rang de star grâce à des films tels que Drive ou Blue Valentine, Ryan Gosling met sa carrière d’acteur entre parenthèse pour continuer sa mue en tant qu’artiste. Voulant sauter le pas vers la réalisation, Ryan Gosling met fait foi de toutes ses inspirations un peu trop référentielles. Nommé Lost River, son premier film, est alors une sorte de synthèse de toutes les influences artistiques que Ryan Gosling a pu côtoyer durant sa carrière protéiforme. Sans crier au génie comme la quintessence d’un Eraserhead, où l’on décèle chez Lost River une pointe d’opportunisme, l’exercice de style donne un résultat singulier, à la fois glam et gothique, quoiqu’un peu lisse pour être tout à fait marginal.
Le film nous immisce dans une atmosphère propice à une certaine folie douce et freak où la réalité va de plus en plus se mélanger à un surréalisme déviant à travers une middle class désabusée qui semble agitée par l’écorchure des corps, la mutilation des chairs dans des séquences de sketchs de fausses tortures acclamées par une foule « assoiffée » de sang comme si l’acteur voulait triturer sa propre réputation de physique parfait. Confiné dans la décrépitude d’une ville où la crise fait rage, Lost River conte l’histoire d’une famille laissée pour compte qui voit la mère trouver un job dans une funeste taverne mortifère et le fils être au prise d’un homme violent qui coupe les lèvres de ses victimes.
Ryan Gosling filme une Amérique pleine de ride, celle désenchantée par ses propres rêves (le chauffeur de taxi), de bouseux désœuvrés, éteints par une malédiction. Une Amérique où l’influence de Derek Cianfrance s’incarne le plus, de façon un peu trop voyante. Dernièrement, après It follows et Only Lovers Left Alive, c’est au tour de Ryan Gosling de s’immerger dans l’antre glauque et morbide qu’est la ville de Détroit, parfait décorum pour filmer la solitude et désolation humaine. Magnifiquement aidé en ce sens par le fabuleux chef op’ Benoit Debie (Enter The Void ou Spring Breakers), dans sa démarche graphique, le fantôme de Nicolas Winding Refn hante Lost River, surtout quand on connait la proximité entre les deux hommes.
Sens du cadre rigide, travelling lancinant, utilisation des couleurs criardes comme pur matériel de symbolisme émotionnel, bande son électro pop faite par Chromatics qui rappelle celle de Cliff Martinez, Ryan Gosling est un élève qui récite sa leçon avec facilité. A défaut de parfois tomber dans un certain maniérisme qui empêche une empathie plus profonde pour un récit qui ne surjoue jamais le drame, le jeune réalisateur n'est jamais dans la caricature, et trouve sa propre personnalité . Lost River, devient alors une œuvre hybride, déambule majestueusement par petites touches.
Ryan Gosling fait cohabiter avec ampleur, modernité et fantaisie esthétique 70’s, proche de Dario Argento, notamment dans ses scènes mi horrifiques mi fantasmagoriques dans les couloirs à la phosphorescence violette d’un cabaret macabre menant à des séances de caissons à la sensualité pulsionnelle. Par le prisme du feu sacrificiel, Lost River se consume avec parcimonie dans son ambition mais renait de ses flammes pour laisser un souvenir qu’on espère, ne pas être un one shot.