Le sulfureux cinéaste Gaspar Noé présentait en séance de minuit ce qui n’est que son quatrième long-métrage de cinéma, annoncé et vendu un peu partout comme un mélodrame pornographique en 3D. Il y avait certes de quoi affoler la Croisette et affrioler public et critique, surtout lorsque l’on se souvient du rapport conflictuel qu’entretient le cinéaste avec ses sélections cannoises, au mieux boudées, au pire décriées, mais paradoxalement, Love est sans doute le film le plus apaisé du réalisateur.


Evacuons d’emblée ce qui ne va effectivement pas : comme toujours chez Noé, le propos est au mieux naïf, au pire stupide. Ici donc, ce sont les aphorismes qu’égrènent les deux amants, Electra et Murphy, durant les deux heures et quart pas si bavardes qui constituent le film. D’aucuns rapprocheront audacieusement une telle naïveté philosophique des derniers films de Malick, à juste titre cela dit. Autre scorie notable, la volonté de vouloir faire de son Murphy un double fantasmé de lui-même, et les nombreux liens biographiques ou référentiels qu’entretient le film avec la vie et l’oeuvre de Noé. Citons rapidement un rejeton prénommé Gaspar, un ex appelé Noé et campé par le réalisateur himself affublé d’une perruque trop ridicule pour être premier degré, une maquette du Love Hotel d’Enter The Void, un personnage principal aspirant cinéaste et fan de 2001, l’Odyssée de l’espace ou encore moult affiche de film ici et là. Si ces liens un peu lourdauds nuisent à l’entreprise du film, ils participent néanmoins de sa naïveté presque touchante, comme pour désamorcer à tout prix le sérieux un brin monumental du projet.


Car projet, il y a. Revendiquer un mélodrame pornographique qui serait l’alliance « du sperme, du sang et des larmes » de l’aveu même de son héros, n’est certainement pas la moindre affaire. Et comme à chaque film de Noé, on crie ici au génie, là à l’arnaque et au bon gros navet. Gageons de rester un peu plus neutre et d’y voir plus clair. Le film est sexuellement très explicite, il s’ouvre d’ailleurs sur un plan fixe montrant le héros nonchalamment masturbé (un Sade aurait dit « pollué ») par sa conjointe, dont il stimule en retour le clitoris. Le plan s’éternise, les corps sont peu mobiles, la scène vire au statuaire, à la performance. La grande force de ce quatrième film est la même que pour les trois précédents : sa plastique, sa mise en scène. Noé retrouve ainsi son chef opérateur fétiche, Benoît Debie, dont les filtres rouges et les coupes au noir caractérisaient déjà respectivement Irréversible  et Enter the Void, qui pour ce film a l’idée brillante de sous-exposer totalement un long-métrage en 3D. On connaît le défaut de lumière que crée cette technologie, ici l’équipe décide d’en jouer, renversant ainsi le paradigme habituel du corps inscrit dans un espace pour un paradigme du corps inscrit dans la lumière (ou dans l’ombre). L’air de rien, ce geste faussement anodin apporte à ce film une esthétique inouïe et inédite tant dans la pornographie (on n’a jamais vu des corps ainsi filmés) que dans la 3D (imaginez ce qu’aurait donné l’apparition du colonel Kurtz dans « Apocalypse Now » avec un tel procédé). Les corps se détachent d’une manière particulièrement graphique qui renforce l’intensité dramatique des scènes les plus crues racontées en flashback. Les amants sont ainsi filmés la plupart du temps en plongée totale ou bien en clair obscur, la lumière structurant les corps et les volumes pour un effet des plus percutants. Par ailleurs, Noé joue avec son médium lors de quelques scènes plus potaches (la fameuse « éjac » en 3D, la vue interne d’une pénétration) qui rappellent notamment son précédent film, ou plus poétiques lorsque Murphy fait des ronds de fumée après l’amour, ou lors d'une rencontre en boîte de nuit, où la lumière des stroboscopes nous chatouille la rétine comme si l'on y était.


Outre cette indéniable dimension plastique qui devrait forcer le respect du plus obstiné des détracteurs, le film épouse une narration à rebours, comme celle de son jumeau maléfique Irréversible  ( Love  étant un projet initial auquel à renoncé Noé devant le refus du duo Cassel / Bellucci de jouer dans un film pornographique) motivée par la consommation d’opium de son narrateur et personnage central. Le procédé n’est pas neuf, il n’en reste pas moins efficace, à fortiori dans une dernière partie totalement hallucinée où réalité, souvenir et fantasme coïncident allègrement. Si tout n’est pas réussi et que le film accuse quelques problèmes de rythme, des séquences marquantes, renforcées par des choix toujours judicieux dans la bande-son (Satie, Bach, Goblins, John Carpenter et même Funkadelic dans un plan à trois mémorable) sont distillées tout au long du récit, qui s’ouvre sur une première heure particulièrement déprimante et virtuose avant de s’achever sur un montage hypnotique auguré par la rencontre entre les deux amants, dont le plan-séquence morcelé et qui s’assombrit progressivement est tristement prophétique.


Mieux encore, le film balaie fièrement tout soupçon de misogynie (on connaît le personnage ambigu que nourrit Noé) en laissant une place forte au désir et à la sexualité féminine, même si le point de vue central est celui d’un homme, que le cinéaste a la bonne idée (à défaut d’avoir le bon goût) de faire un raté (macho, miso, homophobe), queutard mais conscient de son échec personnel. Les femmes n'ont pas n'orgasmes peut-être, mais la jouissance de Murphy est bien triste également. De ce côté-là, rien de nouveau, Noé est toujours le grand pessimiste que l’on connaissait, et sa vision du couple, de la sexualité et de l’amour, à défaut d’être des plus fines, est cohérente avec ses précédentes oeuvres. On regrettera tout de même certains défauts un peu trop immatures et une scène avec un transsexuel où il semble difficile d’excuser le cinéaste pour sa maladresse plus que douteuse. Reste une grande réussite formelle, et un film qui dégage un spleen communicatif.

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le 20 juil. 2015

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Krokodebil

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