Les grandes comédies romantiques sont rares. Ce sont celles qui interrogent sur le lien social, la construction personnelle, ou encore la sexualité. Qui apportent du neuf. C'est, par exemple, Quand Harry Rencontre Sally.
Les comédies romantiques juste bonnes sont déjà plus courantes. Ce sont les Pretty Woman, les Silver Lining Playbook, les Crazy Stupid Love même, enfin ces bleuettes dont les ficelles sont grosses comme des troncs de baobabs mais qui marchent quand même, parce qu'elles vous attachent à leurs personnages. J'ai toujours trouvé dommage qu'on les dise réservées aux midinettes parce que moi, personnellement, je me fais toujours avoir, et en connaissance de cause.
Et puis il y a les impostures comme Love Actually. Celles qui me font prendre conscience qu'effectivement, les midinettes sont prêtes à tout avaler de la part d'un film. Sans réfléchir. Sans sens critique. Alors quand je vois que cet ersatz de comédie romantique se tape plus de 6 sur le site, et aucune critique négative n'expliquant précisément pourquoi c'est si daubé, je me suis dit bibi, celle-là, elle est pour toi. C'est mon côté chevalier blanc.


Impossible d'expliquer le cancer que représente ce film sans spoiler en détails les quelque neuf histoires qu'il se propose de raconter, ce que nous allons faire sur-le-champ et avec beaucoup de plaisir. Quatre histoires ont un peu plus de temps d'antenne que les autres :



  • Liam Neeson vient de perdre sa femme et doit s'occuper de son beau-fils de 11 ans - j'imagine que son père était déjà mort avant la disparition de sa mère, on l'appellera donc Rémi, Rémi sans famille. Heureusement Rémi s'en fout : il est juste amoureux de la jolie fille de la classe ! En l'aidant à pécho, Neeson va se rapprocher de lui.

  • Alan Rickman se fait chauffer au bureau par sa secrétaire cochonne, du coup il lui achète un collier pour Noël. Quand sa femme s'en rend compte, elle lui fait une scène. Il s'excuse, et elle lui pardonne. Enfin plus ou moins.

  • Colin Firth est un loseur que sa femme trompe. Pour se consoler, il part en cure dans sa maison de vacances française où il va tomber amoureux de sa femme de ménage portugaise alors qu'ils ne parlent pas la même langue, mais si un peu quand même : celle du cœur. Après être retourné en Angleterre, il réalise qu'en fait, franchement, c'est trop bête ! Il décide donc d'aller la demander en mariage dans un Portugal médiéval où les femmes se font marchander comme des pommes de terre (au kilo).

  • Hugh Grant est un premier ministre un peu débile qui déclare la guerre aux États-Unis parce qu'il est amoureux de son intendante. Quand il se rend compte que c'est complètement con, il la transfère. Jusqu'à ce qu'elle lui envoie une carte pour Noël qui lui permet de réaliser qu'en fait, franchement, c'est trop bête ! Il décide donc d'aller lui déclarer son amour éternel dans une école apparemment juive où Joseph et Marie bouffaient du homard pour les fêtes de fin d'année.


Voilà, ces quatre histoires sont celles qui bénéficient du développement le plus travaillé. Intéressons-nous maintenant aux cinq autres :



  • Laura Linney est amoureuse du bellâtre du bureau et ça fait deux ans qu'ils se tournent autour. Quand ils se chopent enfin, ils sont interrompus par un appel en urgence du frère de Laura qui est en hôpital psychiatrique. Du coup tant pis pour le sexe, l'amour ça ne se vit pas que tout nu après tout.

  • Kris Marshall arrive pas à baiser en Angleterre, alors il va aux États-Unis pour baiser plus.
    Et il y arrive.

  • Andrew Lincoln est amoureux de la femme de son meilleur ami, raison pour laquelle il s'est toujours refusé à lui parler. Quand elle s'en rend compte, il fuit, mais en fait il revient le soir de Noël pour lui faire une déclaration romantique, alors elle l'embrasse.
    Le meilleur ami de son mari.
    À qui elle n'a jamais parlé.

  • Bill Nighy est une vieille rockstar en manque de thune qui aime bien faire des choses un peu olé-olé sur les plateaux de télévision, au grand dam de son manager. Le soir de Noël, il se rend compte que ce dernier est son meilleur pote et ils passent la soirée ensemble. L'histoire ne dit pas s'ils finissent tout nus.

  • Martin Freeman est doubleur cul. À force d'être à poil avec sa partenaire, il lui propose d'aller boire un verre.
    Elle accepte.
    Voilà.


Avant toute chose vous aurez peut-être pris le temps de remarquer que 8 des 9 paragraphes que je viens d'écrire commencent par un prénom d'homme (sauf Colin qui est une bonne copine mais on s'éloigne). On pourrait m'opposer Keira Knightley mais non, elle est secondaire dans son arc : ce n'est pas elle que la caméra suit, c'est l'autre chasseur de zombies. À la limite, ok, l'histoire entre Martin Freeman et Joanna Page accorde autant d'importance aux deux (c'est-à-dire aucune). Enfin je reviendrai là-dessus un peu plus tard, quand on parlera de variété.


Bon, alors pourquoi c'est nul ? Quand je suis venu à bout du film, j'ai d'abord été surpris. Surpris de m'en foutre complètement. Comme je le disais en préambule, je suis plutôt bon public vis-à-vis des comédies romantiques, mais là mon cœur bottait en touche, j'étais indifférent. Le film n'ayant pas été déplaisant à regarder, juste inutile, j'ai d'abord mis 4. Dans un premier temps, pourquoi une telle indifférence ?


Pour deux raisons assez évidentes. D'une part, parce qu'on n'a pas le temps d'apprendre à connaître et à apprécier les personnages. De l'autre, parce que les rebondissements sont complètement artificiels. Et ce n'est pas très étonnant : déjà qu'une comédie romantique normale, de deux heures, sonne artificiel, dans le sens où on simplifie toujours l'établissement de rapports humains assez complexes et que la structure est codifiée à outrance depuis New York - Miami, comment rendre l'histoire crédible quand le temps de développement est divisé par 9 ?



  • Par exemple, pourquoi Colin Firth et sa femme de ménage tombent-ils amoureux alors qu'ils n'ont partagé que deux virées en voiture de 10 secondes et un bain forcé dans un lac. Parce que c'est une comédie romantique et qu'ils doivent tomber amoureux.

  • Autre arc narratif, pourquoi Hugh Grant décide-t-il de transférer son intendante ? A la scène précédente, il exultait tellement qu'il faisait du hula hoop dans toute la baraque, pas exactement l'attitude du mec qui se rend compte qu'il vient de faire une connerie donc. Mais c'est une comédie romantique et ils devaient s'éloigner.
    Et pourquoi ils ne tentent pas un truc dès le début, au fait ? Parce qu'ils ne sont pas de la même classe sociale ? Déjà qu'il est incapable de lacer ses chaussures tout seul, si en plus ses idées datent d'avant-guerre, le Royaume-Uni est mal barré.

  • Le deuil de Rémi sans mif est beaucoup trop vite expédié (on peut même dire qu'il n'est que mentionné).

  • Et on va en rajouter une couche : Keira Knightley, meilleur ami du mari, bisou ? Se sont jamais parlé ?


Donc quand un film n'a aucun sens, que j'ai l'impression qu'il essaie de m'enfoncer son scénario dans le crâne à coup de matraquage en mode "mais si, c'est logique qu'ils soient amoureux, dans les autres films c'est toujours à ce moment-là qu'ils sont amoureux, en plus y'a la musique", je n'y crois pas, et je me désimplique direct. Au-delà de ça, le temps de développement réduit ne permet de mettre en scène que des archétypes, des histoires sans originalité et superficielles, bref, sans intérêt.
Qu'est-ce que ça apporte, cette histoire de bourgeois et de femme de ménage portugaise ? J'ai déjà vu la même chose en beaucoup plus construit dans Les Femmes du Sixième. Et puis pourquoi serais-je intéressé par les efforts de Rémi pour chopper sa camarade de classe ? Il n'a rien à foutre de la mort de sa mère, ce qui le rend au mieux, pas crédible, au pire, insupportable.
Et encore, ça c'est pour les arcs qui racontent réellement quelque-chose (Martin Freeman, Kris Marchall, Alan Rickman... ?).


Bon, donc globalement, le film choral nique l'intérêt. Et là, c'est le bon moment pour se demander : mais au fait, pourquoi un film choral ? En effet, c'était un peu prévisible que le mélange comédie romantique chorale se casse la gueule, pour les raisons que j'ai déjà citées. Donc, il devait bien y avoir une raison de le faire.
La raison, elle est explicitée sans aucune subtilité dès l'intro : pour montrer que l'amour est partout. Enfin partout, mais surtout en Angleterre, chez les hommes blancs cis hétérosexuels qui gagnent 80k par an. Et c'est là que je commence à me fâcher tout rouge : je trouve qu'un tel contresens dans le message n'est pas seulement stupide, mais il est odieux.


Odieux parce que pour faire passer un tel message, un film ambitieux aurait pris des personnages du monde entier, de catégories sociales différentes, de sexes différents, qui auraient été amenés à se croiser, pour créer un sentiment d'unité, et donc finalement les réunir sous le signe de l'amour.
Love Actually, a contrario, a décidé que pour montrer que l'amour était partout, il suffisait de faire varier les situations - c'est-à-dire ce que font toutes les comédies romantiques depuis la nuit des temps, raconter la même histoire en changeant le contexte -, de simplement faire 9 mini-comédies romantiques, indépendantes les unes des autres... et finalement, de galvauder complètement son message, le film choral ne servant plus qu'à rabâcher une certaine idée de l'amour qu'on nous enfonce à chaque histoire un peu plus dans le crâne, cette idée que l'amour est réservé à une certaine frange de la population anglaise.


Je dis 9 mais c'est faux. Dans le lot, deux sortent vraiment du lot : l'amitié entre Bill Nighy et son manager est excellente, le personnage est drôle et attachant, la fin apporte quelque chose, je n'ai rien à dire. Laura Linney s'en sort pas mal aussi, le retournement de situation est joli, l'arc a le mérite d'effectivement montrer une autre forme d'amour, même si encore une fois le personnage m'est un peu indifférent.


Le gros défaut de l'histoire d'Alan Rickman, c'est que le format ne fait pas mérite à la complexité du sujet. L'homme en pleine crise de la cinquantaine, qui se pose des questions sur son mariage, c'est une piste intéressante, encore faut-il la traiter. Et en l'occurrence, non seulement on ne s'attarde jamais sur les sentiments de Rickman, on dirait plutôt un abruti qui subit totalement les événements, mais en plus l'histoire n'a même pas de fin. C'est juste vide.


Et pour Liam et Rémi, ç'aurait justement été sympa de développer le thème de l'amour filial, sauf que ça tourne encore une fois autour du garçon qui aime la fille : le climax est en tout cas centré là-dessus, avec la fameuse course à l'aéroport, cette fois-ci je dois l'avouer judicieusement détournée en la faisant jouer par des gamins.


Au-delà de ça, on a deux histoires assez massives qui racontent exactement la même chose, à savoir l'amour entre deux personnes de classes sociales différentes, évidemment toutes les deux dans le même sens, l'homme puissant et la femme soumise.
Un truc complètement basique et sans aucun sens entre Keira Knightley et Andrew Lincoln (jamais parlé arrglh).
Et deux comic reliefs sexuels pour le lulz.


La dimension chorale n'est même pas vraiment utilisée, car les histoires sont complètement indépendantes, si ce n'est un ou deux rapports ici et là, qui font office de clins d’œil, mais sans parallèles entre les thèmes, sans sentiment d'unité et de cohésion entre les histoires. Il y a un unique moment dans le film où on a vraiment l'impression que les arcs se croisent, c'est lorsqu'on suit Laura Linney, convoquée dans le bureau de Rickman, avant qu'ils ne commencent à discuter, puis lorsqu'elle sort le focus reprend sur Rickman. On entre par Linney, on sort sur Rickman. Voilà, c'est le seul moment où il y a une idée d'interdépendances. Même quand un personnage apparaît dans la storyline d'un autre, comme au début avec Emma Thompson et Liam Neeson, elle en ressort totalement inchangée, il n'y a pas d'influence d'une histoire sur l'autre, l'amie et l'épouse pourraient être deux personnages complètement différents.


Alors voilà, tout ça pour ça. On veut faire un film dont la forme est en cohérence avec le propos, mais au final on chie les deux. On veut nous faire croire qu'on nous sert un best of, alors qu'au contraire tous les morceaux sont des copies moins développées de créations originales, sur lesquelles on nous demande de porter notre attention par habitude des mécanismes.


Eh bien pour moi ça n'a pas pris. Il ne suffit pas de me mettre des acteurs que j'aime bien et de mettre en scène des situations qui font écho à des films qui proposent vraiment quelque chose, eux, pour m'impliquer et me faire ressentir des choses.


Ce film est une imposture paresseuse, et le monde doit le savoir.

Arbuste
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le 16 janv. 2016

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Arbuste

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