Les souffrances du jeune pervers.
Alors, cette claque ?
Echaudé par Why don’t you play in Hell, mais motivé par un ardent militant à sa cause (TheBad, pour ne pas le nommer, que je remercie au passage de m’avoir permis de le voir dans une si bonne qualité), voilà que je me lance dans le continent Love Exposure.
Il est très facile de tout descendre dans ce film, pour peu qu’on reste sur nos attentes de cinéphiles européens ou de nippophiles classiques : excessif, punk, outré, parfois d’avantage soucieux des effets que des causes (notamment dans une scène de mutilation ou d’un seppuku pour le moins saugrenu), mélangeant avec un mauvais gout assumé les imageries du kungfu et de la kitscherie chrétienne, Love Exposure s’assume comme une création monstrueuse qui nous impose un effort d’adaptation.
Le premier quart d’heure fait ainsi craindre le pire : maman qui meurt, chants grégoriens dans une imagerie digne des clips d’Enya et surtout l’arrivée de la bande de potes qui m’annonçait tout ce qu’a d’irritant Why don’t you play in Hell. Mais c’est bien le parcours initiatique qui prend le dessus et dessine un rapport au péché comme construction identitaire, afin de satisfaire la soif malsaine du père. Cette confusion des genres (le réellement drôle art martial du tosatu mêlé à la destruction de la psyché d’un être en pleine découverte de ses sentiments) est le premier intérêt de Love Exposure.
Mais ce qui frappe surtout, c’est sa gestion du rythme.
4 heures ne passent pas innocemment, et force est de reconnaitre que Sion Sono construit une partition à l’équilibre presque parfait. Recourant avec malice à des orchestrations qui soulignent clairement son écriture (le Boléro de Ravel ou le fameux 2ème mouvement de la 7ème de Beethoven, poncifs ultimes du cinéma qui sont d’autant plus grandioses qu’ils ne perdent jamais de leur superbe), la convergence de la première heure vers « Le miracle » est admirablement menée. Fragmenté et polyphonique, la suite se déploie en un triangle qui lui aussi fonctionne la plupart du temps, à une ou deux baisses de régime près (notamment la femme Scorpion et l’aspect comédie boulevardière/teenage de la deuxième heure).
A cette qualité d’écriture s’ajoute ce qui fait le véritable souffle du film : sa sincérité. Dans ce genre de construction WTF, l’escroquerie et le désir vain de se démarquer avant tout contaminent souvent le propos. Si Love Exposure se distingue, c’est qu’il croit en ses personnages et propose un cheminement complexe, certes parfois bordélique, (mais qui l’est toujours à cette période ébranlée des émois adolescents) dans les méandres de la foi, de l’amour et du désir.
La véritable question que pose l’auteur est bien celle notre rapport à la passion : qu’elle soit d’ordre religieux ou amoureux, elle est toujours cet élan qui, mal géré, mène au fanatisme destructeur. De ce fait, l’exploration du thème de la perversion (le voyeurisme) a un double intérêt : il matérialise la quête de l’adolescent face à ses désirs, de façon aussi grotesque que touchante, et questionne le rapport du cinéaste à sa quête, celle de rendre visible les élans invisibles et pourtant destructeurs de nos passions, image qui sera notamment concrétisée par les balles invisibles qui déchirent la nuit urbaine. Sion Sono l’affirme avec force : son cinéma marginal est une excroissance adolescente qu’il assume entièrement et qui n’a rien de la pose.
L’éveil aux sens est donc ce maelström insondable dans lequel on mélange érection et amour, où l’on hurle les Corinthiens sur du Beethoven, et où l’on recourt aux dernières extrémités pour contrôler les sentiments de l’autre. A la passion naïve de la recherche de la culotte virginale répond celle, toute aussi sincère, de la tentative de détruire un amour pour le remplacer par un autre.
Le lyrisme échevelé qui en découle finit par réellement emporter, et peut-être fallait-il quatre heures au réalisateur pour craqueler notre carapace de méfiance, tailladant çà et là nos réticences avant de libérer sa puissance rageuse. L’incursion dans la secte blanche, le face à face sur la plage sont ainsi nourris d’une force qu’on a du mal à trouver ailleurs.
Le film n’est pourtant pas exempt de défauts : certaines répétitions, des poncifs teenage un peu niais, et une fin qui ne convainc pas entièrement, parce que trop emportée par son propre délire d’écriture, entre suicide, explosions et aliénation temporaire avant de reprendre les rails d’un final de romance quasi américain.
Mais pour l’ampleur de ces scènes et la malice avec laquelle son auteur est parvenu à les faire émerger, Love Exposure est un grand film, qui peut-être justifie l’acceptation d’à-côtés moins séduisants, à l’image des montagnes russes de l’âge ingrat qu’il illustre.
(7,5/10)