Cette soirée là
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le 21 mars 2021
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[Avertissement : Tous mes textes sur la série "Small Axe" sont regroupés dans la section consacrée à celle-ci, la longue introduction sur la série est commune à toutes critiques]
Small Axe :
Nous, Français, voire Européens, sommes toujours partants pour critiquer, voire se gausser des USA, auxquels nous aimons attribuer tous les crimes et les péchés du monde. Le racisme profond de la société états-unienne est indiscutable, et il est chaque fois plus clairement souligné, comme ce fut le cas l’année dernière avec le mouvement Black Lives Matter : pointer du doigt ce répugnant phénomène nous permet néanmoins souvent de nous dédouaner des mêmes crimes, comme si, « chez nous », forcément, ce genre de choses n’arrivaient pas. Le premier – et immense – mérite des cinq films de Steve McQueen, regroupés sous le titre de "Small Axe" et « vendus » au public des plateformes comme une série TV, est de nous raconter, sans détours, que les horreurs que nous dénonçons de l’autre côté de l’Atlantique, ont été perpétrées de la même façon chez nous (et le sont encore, bien entendu !).
Les cinq films proposés, de durée variable – le plus long, "Mangrove", dépasse les deux heures, le plus court, "Education", dure une bonne heure -, nous racontent quelques épisodes – historiquement importants ou simplement anecdotiques, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient moins pertinents et moins forts – de la difficile intégration (si l’on peut utiliser ce mot dans le modèle dit « multiculturel » de la société britannique) des immigrés antillais, et dans ce cas-ci, souvent jamaïcains, à Londres. Les cinq récits se déroulent entre 1969 et 1982, à une époque où le National Front (équivalent britannique de notre très cher RN) et les idées racistes proliféraient, idées qui avaient été d’ailleurs violemment combattues par une partie de la jeunesse « blanche », en particulier au sein du mouvement punk.
Les nostalgiques éventuels – comme nous ? – de cette époque musicale particulièrement féconde, avec le punk rock, mais aussi l’avènement du reggae comme musique populaire, et l’éclosion du ska britannique comme excroissance métissée de la musique jamaïcaine -, pourront d’ailleurs déguster au fil de "Small Axe" - dont le titre fait référence à une chanson de Bob Marley prônant la révolte individuelle contre le système oppresseur (« So if you are the big tree / We are the small axe / Ready to cut you down (well sharp) » - Si vous êtes le grand arbre, nous sommes la petite hache, bien aiguisée, prête à t’abattre…) - une multitude de titres-cultes de la musique jamaïcaine !
Inévitablement, même si Steve McQueen est l’un des auteurs-réalisateurs anglais les plus importants des dernières décennies, la qualité des cinq films est variable, allant de l’exceptionnel au plus moyen. L’importance néanmoins du discours tenu, du témoignage apporté sur des événements jamais vraiment vus au cinéma encore, est indéniable, du premier au dernier : on pourrait même dire que, alors que la Grande-Bretagne vit actuellement dans la foulée du Brexit et avec les dernières mesures liberticides du gouvernent Johnson, un virage vers l’isolationnisme et la haine de l’autre inédit dans son histoire, le timing de "Small Axe" est impeccable. Et que, quelque part, il est moins approprié de juger ces films sur leurs qualités cinématographiques que sur la force et l’importance du message politique et social. Faisons néanmoins un rapide état des lieux…
Lovers Rock :
Avec "Lovers Rock" (oui, comme le titre de The Clash de l’époque !), on est face à un tout autre genre de cinéma, et il est permis de considérer ce film, qui lorgne du côté du cinéma « d’auteur » et évoquerait presque un Kechiche dans l’attention généreuse qu’il porte à la communauté jamaïcaine et aux êtres qui la composent, comme le sommet de "Small Axe". Pas vraiment de scénario cette fois, on suit seulement ici l’organisation, le déroulement, et le lendemain matin suivant d’une « house party » jamaïcaine : et c’est d’une beauté tout simplement terrassante… Même si, bien entendu, les amateurs de musique – utilisée ici de manière totalement diégétique - seront les plus prêts à s’émerveiller devant ses très longues scènes de danse, collective ou en couples ! Deux moments sublimes, et tellement significatifs, définissent le film et le portent : le chant a capella des femmes sur "Silly Games" de Janet Kay, et la transe masculine finale, qui voit l’hystérie générale monter, monter, alors que la musique permet d’exprimer enfin toutes les frustrations et les haines cachées dans une vie de soumission quotidienne au racisme ordinaire. La manière dont ces deux scènes, extraordinaires, dévoilent à l’écran le bonheur absolu de l’expression physique et la naissance d’un « groupe » à partir d’individus pour la plupart étrangers les uns aux autres, parlera forcément à tous les aficionados de musique live. Si l’on y ajoute la magnifique sensualité des corps à corps durant les scènes de séduction, et si l’on précise quand même que la vision critique de la société antillaise, en particulier de la violence machiste faite aux femmes, est également présente, on tient là peut-être les 70 minutes les plus merveilleuses vues pour le moment en 2021.
[Critique écrite en 2021]
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Créée
le 20 mars 2021
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