Considéré à juste titre comme un des réalisateurs américains les plus prometteurs, Jeff Nichols revient avec un film qui, au contraire du précédent flirtant avec la science-fiction et un monde imaginaire, regarde cette fois dans le passé, plus précisément dans l'Amérique ségrégationniste des années 50 où le mariage interracial était alors interdit dans certains états comme la Virginie. Néanmoins, et quel que soit le genre adopté, on retrouve le même fil conducteur dans ce nouvel opus de l'auteur de Midnight Special, à savoir la cellule familiale comme le territoire de tous les possibles, lieu de la sérénité et de l'apaisement comme terreau de la souffrance, des déchirements ou du malheur.
Jeff Nichols croit tellement à sa manière à la famille et à ce qui la fonde le plus souvent, l'amour entre deux personnes, qu'il construit ainsi Loving – patronyme prédestiné de Richard le blanc unissant sa destinée à Mildred la noire – comme un écrin ou une bulle que les épreuves successives de l'emprisonnement, le bannissement et les procès ne semblent jamais altérer. Dans ce sens, le film est surprenant, inattendu, nous conduisant vers des chemins que nous ne nous attendions pas à emprunter, davantage persuadés de voir l'expression violente de l'ostracisme, les dénonciations (qui ont bien dû exister pour que les jeunes mariés revenant de Washington soient arrêtés puis incarcérés) ou encore les humiliations. Sans nier tout cela, Jeff Nichols paraît vouloir garder le négatif à distance, ce qui procure un sentiment équivoque d'une absence d'événements, sinon d'enjeux, et par conséquent d'un long-métrage un peu terne, manquant de souffle. De la même façon, ce qui se joue à la Cour Suprême – et qui n'est pas tout à fait rien – est uniquement abordé dans l'issue.
Cette impression mitigée, qui n'a pourtant rien de désagréable en soi, se renforce également face aux deux personnages : Richard est assez taciturne, mal dégrossi tandis que Mildred affiche une mine souvent ravie et angélique, mais ces réserves ne résistent pas face à l'amour évident qui les relie. D'ailleurs Richard répondant à son avocat aura cette magnifique répartie : Dites au juge que j'aime ma femme.
Si le réalisateur de Take Shelter continue à explorer la thématique du noyau familial mis à l'épreuve, il le fait dans un film curieusement doux et apaisé, prenant au dépourvu le spectateur en refusant les effets faciles, une dramaturgie appuyée. Il y a ici quelque chose de foncièrement simple et humain où une étape importante de la grande histoire des droits civiques met en lumière avec tendresse ses modestes et anonymes inspirateurs sans jamais les écraser ni tenter de les magnifier plus que nécessaire. Au final, ce parti pris de modestie qui se tient continuellement à hauteur d'homme constitue la grande qualité de Loving.