Un certain nombre d’éléments avaient de quoi inquiéter dans un tel projet : l’Amérique s’emparant de son Histoire blessée n’a pas son pareil pour enfiler les perles académiques enrobées de pathos pénitent, et le sujet de Loving entre en tout point dans cette catégorie.


S’attachant au parcours d’un couple mixte se retrouvant dans l’œil du cyclone du combat pour les droits civiques dans les années 60, Jeff Nichols change une nouvelle fois de registre, et semble abandonner ce qui faisait les constantes de ses films précédents : l’enfance, chère à Mud et Midnight Special, n’est plus qu’un très vague arrière-plan, place au couple. Le goût du romanesque tragique (Shotgun Stories) ou aventurier fait place ici aux limites d’une histoire vraie.


De ce point de vue, Loving décevra ceux qui misaient sur les audaces croissantes de la jeune filmographie de Nichols. La tonalité est mesurée, la mise en scène discrète, et cet académisme redouté semble pointer, notamment dans le recours à une musique un peu lourde dans sa volonté de souligner les émotions en jeu. La reconstitution est impeccable, et certaines séquences voient le retour d’un thème qui semble cher au cinéaste, celui de la voiture, grâce à l’organisation de course et un très bel échange nocturne qui rappelle la splendide ouverture de Midnight Special.


Mais il s’agit de bien cerner les choix faits par le cinéaste en termes de point de vue. Loving est avant tout l’histoire d’un couple, et tout le film se racontera à leur hauteur, jusqu’à en faire un enjeu dramatique : un rappel permanent et salutaire qui joue sur le titre éponyme : il ne s’agit que d’une histoire d’amour.


Loin de tout héroïsme, sans aucune ambition militante, le couple ne demande finalement rien à personne, si ce n’est de vivre au milieu des leurs. Cette modeste quête, matérialisée par l’activité de Richard, qui ne cesse de bâtir des murs, est rendue impossible par leur couleur de peaux respectives. Elle entraîne arrestation, prison et exil, sans qu’on accentue jamais la violence ou les drames engendrés : mais ce qui pourrait sembler plat est en réalité une arme dévastatrice en terme de rhétorique. L’indignation se fera toujours par identification à des personnes, et non des martyres.


La question de la violence est primordiale : Nichols prend toujours soin de la laisser la plus sourde possible : c’est une brique posée sur une banquette de voiture, c’est un arrêt raciste de la cour de Virginie interdisant la naissance de bâtards mixtes, ou la haine contenue dans le regard de Richard à qui l’on explique dans une séquence extraordinaire d’intensité qu’il suffirait qu’il divorce pour arrêter de jouer au noir alors qu’il a l’avantage de ne pas en être un.


On sait Jeff Nichols talentueux lorsqu’il s’agit de construire des personnages, et comment la notion de couple peut se révéler salvatrice face aux attaques d’une psyché malade (Take Shelter) ou de l’extérieur (Midnight Special). Loving ne cesse de dérouler la même assertion. L’amour ne se discute pas : c’est là le parti de Richard, qui voudrait vivre en dehors de tous les enjeux nationaux (les avocats, la presse, la Cour Suprême), et qui refuse toute prise de parole, par maladresse, voire étroitesse d’esprit. Sa femme est plus combattive, mais sans jamais se départir d’une douceur innée qui ne perd pas de vue l’essentiel, à savoir son couple et sa famille : des développements médiatiques et juridiques, il ne sera question qu’en second plan, même s’ils constituent l’enjeu majeur du récit. Nichols fait sienne l’assertion de Richard qui affirme à l’avocat, étonné de son refus à se rendre dans ce prestigieux lieu qu’est la Cour Suprême : « Tell them I love my wife.»


Telle est l’ambition : pénétrer l’intimité d’un foyer, en faire de nous des membres pour que l’empathie soit authentique et non épique. En cela, la courte apparition de Michael Shannon en photographe de presse (qui retrace une pratique de reporter déjà bien traitée dans le Life d’Anton Corbjin) est métaphorique de la place de Nichols par rapport à ses protagonistes : obtenir d’eux – et par extension de ses comédiens, absolument exceptionnels – la vérité la plus simple de leur amour.


Jeff Nichols a beau changer de registre à chaque film (on sait qu'il reviendra à la SF pour le prochain), la question reste donc toujours la même : atteindre le cœur de l’individu face à la contrainte ; l’obstacle fait à l’amour (du couple ou de la cellule familiale) le malmène, mais, plus que tout, le révèle. Et toute son ambition consiste à restituer cette modeste, essentielle et ineffable vibration.


(7.5/10)


https://www.senscritique.com/liste/Integrale_Jeff_Nichols/1599933

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le 4 févr. 2017

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Sergent_Pepper

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