Le « low-life », c’est l’indésirable, le paria. Rejeté par sa communauté, il n’a plus d’endroit où vivre. Mais Low Life, dans le quatrième film de Nicolas Klotz et d’Elisabeth Perceval, c’est aussi et surtout un « endroit du monde », l’endroit où « tout le monde dort dans l’égalité du même sommeil ». Le sommeil, pense Hussain, poète afghan et immigré clandestin recherché par la police, c’est le seul moyen d’échapper au contrôle, à la surveillance. De rester en vie. Cette dialectique, entre égalité et rejet, inclusion et exclusion, parcourt le film avec la même lancinance et la même douleur que ses personnages.
Ainsi, après leur « Trilogie des Temps Modernes », dont le dernier opus La Question Humaine avait fait débat lors de sa sortie, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval mettent cette fois leur caméra en mouvement, comme une arme (ou un mauvais sort) pour filmer un monde en crise, catastrophé. Dans cette société maudite, un groupe de jeunes bourgeois s’est réuni pour aider les immigrés clandestins contre la police, et pour régler leurs problèmes avec la vie, l’amour et l’amitié. Pour les cinéastes, l’avenir appartient à la jeunesse : c’est elle la seule qui puisse être assez forte pour lutter contre l’autorité, c’est elle qui fait tomber les têtes.
Ainsi, Low Life est un véritable film de Résistance. Les analogies avec la Seconde Guerre Mondiale ne manquent d'ailleurs pas : Hussain est obligé de se réfugier dans une chambre "secrète" dont il ne peut pas sortir et dont la porte est dissimulée derrière une armoire, et les références explicites à la Gestapo ou à l’Occupation sont légion, comme lors d’une des dernières scènes au commissariat, l’une des plus poignantes. Ce n’est donc pas un hasard si le long-métrage est tourné à Lyon, capitale de la Résistance.
Car il faut se cacher. La police est partout, physiquement, mais aussi mentalement. Elle s’empare des âmes et les détruit, comme celle de ce Julio, ce jeune immigré arrêté, dont on essaie de prouver en le passant aux rayons X, qu’il n’a pas 15 comme il le dit, mais bien 17 (et est donc « expulsable »), ou bien cet autre immigré africain, poussé à la mort lors d’une poursuite. Dehors, personne n’est à l’abri : les caméras de surveillance capturent tous les faits et gestes, et les reproduisent à l’infini. C’est pourquoi les personnages ne vivent que la nuit, ou qu’ils parlent toujours le dos au mur. Dans ces temps-là, on rase les murs, on se fait plus discret. Dans cette France-là, il faut rester en mouvement. La caméra se fait lente, mais fluide : des travellings pour échapper à la peur. Il n’y qu’à l’intérieur, dans les maisons, que la profondeur de champ se fait plus importante, que l’on peut souffler. Dans la chambre claquemurée de Hussain et de Carmen (une de ces « résistantes ») l’intimité peut reprendre sa place. A l’extérieur, c’est la guerre.
La France que dépeint Low Life est une France en plein conflit civil, où la Police n'est plus que l'instrument de la xénophobie d'Etat. La musique, enivrante et hallucinée, se mêle aux scènes carrément mystiques durant lesquelles les immigrés effectuent une sorte de cérémonie vaudou autour de leur Lettre d'Expulsion du Territoire Français. On essaie d’en extirper le charme, la malédiction, en les brûlant, peut-être. Car cette lettre, c'est "l'arrêt de mort", celui qui la porte connait inévitablement un destin fatal, qu’il soit policier, immigré ou même une vieille dame qui n’avait rien demandé.
Malheureusement, à côté de cela, le film s'évertue à décrire les relations amoureuses entre tous ces jeunes déjà condamnés. Et alors la théâtralité du jeu et des dialogues, le vide de ces paroles clamées comme si elles étaient une poésie maudite ; cette « irréalité » volontaire en somme, pose une distance certaine entre le spectateur et ce qu'il voit au point que le ridicule n'est jamais très loin. A ce niveau-là, le personnage de Charles est assez symptomatique : personnage le plus ambitieux du film (en termes d’écriture), il est aussi celui qui pousse le plus souvent le spectateur vers la sortie... Car à vouloir complexifier volontairement des sentiments qui le sont déjà assez, le film se fait bavard, emphatique, et même souvent franchement prétentieux. La passion censée être visible à l’écran ne se fait pas vraiment sentir, et l’on trouve le temps parfois bien long.
A la sortie du film cependant, ne restent dans la mémoire que le message et les images. Nécessaire et saisissant, Low Life pousse quasiment à prendre les armes. Alors s’il est difficile de rentrer dans ce film, il est d’autant plus difficile d'en sortir.