En 2001, quand Mulholland Drive sort au cinéma après un passage remarqué à Cannes où il a remporté le Prix de la mise en scène, David Lynch n’en est évidemment pas à son premier fait d’arme. Son précèdent film, Une Histoire Vraie, évoquait avec mélancolie, humour et sagesse la traversée des Etats-Unis d’un vieil homme sur une tondeuse. Encore auparavant, en 1997, il avait réalisé Lost Highway, qui déjà avait troublé certains spectateurs. Ici, il convoque les anges de Los Angeles. Mulholland Drive est un rêve, et c’est ainsi qu’il se vit. Comme un rêve, il parle aux sens, mieux, il les secoue, les fait trembler. Comme un rêve, il n’a à première vue, ni à la deuxième, aucun sens, et pourtant, comme dans un rêve, on ressent et l’on vit, on sourit sans vraiment savoir pourquoi, et comme dans un cauchemar on a peur, on crie, on agite les bras dans tout les sens pour se réveiller. Mulholland Drive, du nom de la route célèbre qui parcoure La Cité des Anges et où, au début du film a lieu un accident de voiture qui va tout changer, est le symbole des espoirs déçus, un mélodrame bouleversant par sa tristesse désemparée et sans issue, par cet amour violent, la fureur des sentiments. Il est un film si riche qu’il en est une œuvre d’art. D’aucun diront de ce film qu’il n’est qu’un enchevêtrement d’images artificielles sans aucun sens et sans interêt, que ce tas d’images n’est que le délire visuel d’un fou. Il n’en est évidemment rien, c’est même tout le contraire tant les interprétations que peuvent amener Mulholland Drive sont nombreuses (film surréaliste post-moderne, film rêvé…), tant les niveaux de lectures sont infinis et font de ce film un livre toujours ouvert, incroyablement généreux. David Lynch semble nous dire : j’ai mis ma vie dans cette histoire, j’ai mis mes émotions, j’ai mis mes folies, mes rêves, mes inventions, mes peurs et mes joies, maintenant, il ne reste plus qu’à vous servir, mais attention, n’allez pas trop vite, ou vous irez vous perdre. Ce film c’est donc une histoire. C’est en premier lieu la plus belle histoire d’amour du Cinéma, entre une Naomi Watts et une Laura Elena Harring à la quintessence de leur art, plus belles que jamais, un Amour avec un grand A, dans tout son emportement et sa sensualité : il n’y qu’à voir cette scène d’amour, d’un érotisme fou, au centre du film. David Lynch fait découvrir à son personnage, celui de Naomi Watts, l’innocent ange blond au regard si fragile, l’essence même de Hollywood et nous fait voyager dans ses mirages, dans ses mensonges et ses tricheries. Lynch passe par tous les genres, du tragi-comique (le personnage typé du réalisateur cocu qui noie les bijoux de sa femme dans de la peinture) au drame intense (la scène du Club, et le fameux « Silencio »), sans oublier le fantastique (le rêve au Winkies’, le Cowboy), par tous les tons, du sombre au pop, de la lumière aveuglante des studios de tournage à la lumière tamisée du Night Club, de la chevelure blonde platine de Naomi Watts aux cheveux noirs ébène de Laura Harring. Cette harmonie des couleurs, la magie de chaque image, mêlée au sentiment mystérieux du rêve, la musique d’Angelo Badalamenti qui les envoute, font de Mulholland Drive un conte de fée cruel, une explosion d’émotions et soudain l’on se surprend à pleurer, comme les deux personnages, à l’écoute de Rebekah del Rio chantant la Llorando. Mulholland Drive est une énigme dont l’auteur même donne certaines clés, labyrinthe sinueux parsemé de surprises, de beautés et l’on se rend compte, quand s’achève le générique de fin que peu importe si l’on n’a pas su retrouver son chemin, puisque l’on n’était jamais vraiment perdus.