Les rares fois ou les studios Pixar ont voulu calmer l’appui sur l’accélérateur vis-à-vis de leur gros projet, ça a souvent donné lieux aux quelques occasions qu’ont eu le public cible pour émettre de la méfiance que ça soit plus ou moins justifié. La première fois ne remonte pas à hier puisque Cars est sorti il y a 15 ans et que même parmi les fans, un certain nombre s’est mis d’accord pour dire qu’on était devant une énorme publicité pour jouet avec un univers sans queue ni tête et qui suscitait les premières frayeurs chez les fans (pas les plus justifiés du monde à mon avis). Sinon dans le meilleur des cas, ils se contentaient de considérer Cars comme un film mineur au sein de la boîte et au bout du compte, ce film jouit plutôt d’une bonne réputation malgré ces premiers retours plus partagés.
Luca est similaire. Non pas dans sa conception car entre John Lasseter et Enrico Casarosa, il y a tout un pan de culture et d’expérience personnelle qui les séparent. Mais plutôt du côté de ce qu’il suscite auprès du public en terme de retours plus divisés, surtout avec les conditions de sa sortie qui n’est pas prompt à jouer à son avantage : deuxième film de la boîte à être condamné à une exploitation sur la plateforme alors que les cinémas avaient rouvert un mois plus tôt sur le sol français (et étaient ouvert chez les américains), première expérience d’Enrico Casarosa à la réalisation après avoir fait ses armes au storyboard chez Blue Sky Studio avant d’atterrir chez Pixar alors que son expérience en réalisation ne comptait que son court-métrage La Luna de 2011, des séances de réécritures nombreuses et aussi, j’ose le dire, des trailers qui affichait la couleur en termes de ton avec une comédie en mode touché-coulé mais une esthétique assez neuve dans leur catalogue et incitant au dépaysement.
D’ailleurs c’est par là qu’on va commencer puisque c’est le premier gros charme qui va de pair avec ce qui rend à mes yeux Luca si relaxant et rafraîchissant malgré les reproches et les maladresses typique d’un premier long-métrage. Si ce 24ème Pixar n’est pas aussi symbolique sur le plan visuel qu’un Soul ou qu’un Toy Story, il se distingue par son cadre géographique innovant (l’Italie n’a pas eu l’occasion d’être présenté une seule fois précédemment chez Pixar… Cars 2 ça ne compte pas) et son atmosphère sonore soigneux et détendant ainsi que ses personnages qui semble sorti d’un film en stop-motion. La peau et le chevelure qui ont l’air de pâte à modeler numérisé à la 3D, le design simple des personnages avec leur palette d’expression faciale, les déplacements et même la nourriture italienne qui est à faire baver (pas autant que les plats de l’animé Food Wars, la Japanimation a un avantage non négligeable dans ce domaine), l’influence est indiscutable et confère un petit côté "construction à la main" qui donne une certaine originalité dans ce qu’il a à présenter par rapport à ses aînés.
Même la ville de PortoRosso a l’air d’une construction artisanale entre ses choix de couleurs, l’architecture des maisons et la texture du pavé ainsi que des murs. On a la sensation d’une ville construite à la main, comblé à la réalisation de Casarosa qui reste souvent assez illustrative et simple en terme de mise en image mais convoque souvent son sens de la fantaisie et de la poésie au moment opportun et au service de ses personnages et de leurs désirs
(l’une des plus belle : quand Luca se voit courir sur l’anneau de Saturne, cette dernière flottant sur un océan, beau et enchanteur et un magnifique pivot).
D’ailleurs, à l’image d’un Voyage d’Arlo qui voulait montrer les dinosaures reproduire les progrès humain dans un domaine de prédilection comme l’agriculture, Enrico Casarosa init cette tradition de délivrer une image métaphorique simple et évidente mais pertinente du chemin suivi par Luca en poursuivant la longue tradition des films Pixar d’adapter l’environnement d'origine des personnages avec le monde réel : ici, place à un fermier aquatique veillant au bien-être des poissons moutons et adapté à sa routine au milieu de champ d’herbe aquatique faisant office de champ cultivé par les autres hommes et femmes poissons faisant office d’agriculteurs. Luca est un peu à l’image de Tilt dans 1001 pattes (un héros au classicisme prononcé), mais il tire son épingle du jeu avec Giulia quand il découvre vraiment de ses yeux les plaisirs simples du monde humain une fois qu’il se détache de plus en plus de l’influence loin d’être malveillant mais très restreint de son ami Alberto.
C’est souvent en compagnie d’eux qui réussissent à donner de la couleur à son séjour à PortoRosso et à susciter de la sympathie. Il est Influençable mais capable de remettre en question ou de faire évoluer ses envies, ignorant du fonctionnement du monde terrestre mais ouvert d’esprit, soutenu par l’assurance et la débrouillardise d’Alberto et par la joie de vivre et la volonté de Giulia qui complètent très efficacement ce trio d’attachant rebelles et outsider. Bien qu’on n’évite pas les écueils habituel de ce genre de trio
(la jalousie d’Alberto menant à l’énième confrontation inévitable et pas toujours aidé par le choix des mots côté dialogues)
et qu’on est dans un domaine très balisé scénaristiquement, l’ode à l’ouverture au monde est bien démontré et il y a toujours le mérite d’avoir du sens derrière les actions d’Alberto, Luca ou Giulia.
Ainsi qu’une place un peu plus grande que Soul pour les seconds rôles avec les parents de Luca, l’oncle barjot des profondeurs Ugo, Massimo le père de Giulia dont le design est une reprise assumé d’un des deux pêcheurs du court-métrage de la Luna, et grumpy cat en personne (ouiiii) qui est de la partie et devient la mascotte star du film. Même les plus anecdotiques dans ce lot se retiennent et tout ce petit monde finit par nous toucher par la foi que fonde Casarosa dans son récit grandement inspiré de son vécu, une fois de plus, et de sa volonté de s’assumer en tant qu’individu, qu’il soit rejeté par les uns ou accepté par les autres.
Et à ce jeu là, difficile d’être insensible à la peur d’Alberto d’être abandonné par Luca quand celui-ci a un autre objectif que leur projet commun, ou quand se résout à l’idée que leur relation ne peut pas se limiter à être toujours ensemble et que chacun doit tracer sa route de son côté.
Après, je peux excuser en effet cet humour qui n’évite pas le touché-coulé. On a bien des essais atténués par leur prévisibilité (le fameux "Va voir ailleurs Stupido !", heureusement qu’ils n’ont pas trop insisté dessus, les phrases employées au mauvais moment pour créer du slapstick ça n’est pas tout à fait ça ici) et certains gags à répétition un peu sur la corde (Luca qui hésite à partir 3 à 4 fois quand Alberto l’invite à construire leur propre Vespa… mouef bof). Mais à côté les parents de Luca livrent certaines des meilleures scènes d’humour (leur match de football à la fontaine, les tentatives ratés mais très drôle de débusquer leur fils en passant tous les enfants de la ville à l’eau) en plus se remettre en cause également par la suite sans oublier que les petits gags visuels ici et là fonctionnent bien en appliquant la règle du "les blagues les plus courtes sont les meilleurs" (l'expérience de la caféine le temps d'un clipshow).
Mais je ne peux absolument pas pardonner la nullité de l’obstacle présent ici pour créer une menace à Luca, Alberto et Giulia : Ercole Visconti gagne sans mal sa place de choix dans les antagonistes Pixar les plus lamentables et puérils que j’ai eu l’occasion de suivre (et peut-être même la seule place quand on y repense). Beaucoup lui ont mis l’étiquette du "Gaston pour blaireaux" pour la blague, sauf que c’est tout à fait ça : simplement bon à bomber le torse et à jouer les petites frappes de rue pour se donner des airs de puissance et de gagnant sur toute la populace. Sauf qu’il n’est pas pris au sérieux par les adultes de PortoRosso qui se montre trop tolérant à son égard, il n’a pas besoin du trio de héros pour paraître ridicule puisque ses sautes d’humeur le font déjà passer pour un neuneu égocentrique en plus d’être excessivement teigneux, que ses deux larbins n’en fichent pas une et son design ne le rend que plus criard de ridicule même si c’est l’intention initiale. C’est simple, les meilleurs passages de Luca sont ceux où il ne pointe jamais le bout de son pif.
Notamment ceux ou la simplicité du montage via le clipshow et des images font le café comme il faut et savent lier comédie et tranche de vie (la préparation de Luca et Alberto au triathlon local). D’autant qu’en plus des morceaux italien, Dan Romer délivre une partition musicale aux sonorités caressantes et entêtantes typiquement italienne. Une véritable réussite pour sa première bande-originale à un long-métrage d’animation Pixar en plus de contribuer un peu plus à l’atmosphère reposante et souvent détaché d'enjeux herculéens pour nous laisser respirer.
Et miracle qui mérite d’être souligné, pour une fois on a quasiment aucun Star-Talent qui soit un tant soit peu intrusif au doublage français : le casting fait la part belle à pas mal de noms méconnus et en laissant les noms plus populaires au second ou troisième plan (à quelques exceptions comme Serge Biavan alias les clones dans la série Star Wars : The Clone Wars et The Bad Batch) et bénéficie d’une très bonne direction vocale des mains de Claire Guyot, avec certains comédien qui se distinguent dans le lot (Aloïs Le Labourier-Tiêu). Et l’unique star au casting, l’actrice franco-italienne Chiara Mastroianni, ne fait pas tâche au milieu des comédiens de doublage.
Il est encore trop tôt pour dire si Luca marquera les esprits et si les retours mitigés qu’il peut susciter se dissiperont avec le temps, toutefois il est au cinéma d’été ce qu’est, au hasard, Les Aventures de Winnie l’ourson dans le catalogue Walt Disney Animation Studio ou Hôtel Transylvanie chez Sony Pictures Animation : son ambition réduite et concentré sur la simplicité fait sa plus belle force par l’humilité qui en ressort, son cadre très aéré, son dynamique trio de héros, son récit initiatique et ode à la découverte, et aux nouvelles rencontres et son honnêteté malgré son manque ambiant de surprise et son antagoniste puéril. Croisons maintenant les doigts pour que leurs prochains films puissent à nouveau bénéficier d’une exploitation au cinéma sans qu’il n’y ait d’aléas à forte gravité comme on en a connu depuis 2020.