Baptisé en France sous le mystérieux nom d'Operation Re Mida, Lucky, el intrépido s'inscrit comme un cas d'école dans la bouillonnante filmographie du madrilène Jesús Franco. Considérée par son réalisateur comme l'un de ses films préférés, cette production italo-espagnole ne trouva pas son public à l'époque de son exploitation. Mal distribué, mal compris, Lucky fut rangé rapidement comme un produit inadapté appartenant, bon an mal an, à la catégorie Europsy. Une grave erreur d'appréciation tant celui-ci relevait, dans le sillage du Cartes sur table mis en scène par Franco l'année précédente avec Eddie Constantine, de la parodie. Mais pas seulement. Expliquant sans aucun doute l'embarras de ses commanditaires, Lucky, non content de jouer avec les codes du film d'espionnage, empruntait directement à la bande-dessinée son langage narratif. Un film hybride à classer entre La dixième victime d'Elio Petri et Danger Diabolik de Mario Bava.


Délibérément parodique, ce long-métrage prend à revers la mode de l'Eurospy, débutée trois ans plus tôt, et à laquelle les producteurs, Luis Méndez et José Frade, et Jess Franco avait payé respectivement leur tribut avec le dénommé agent 077 dans 077 espionnage à Tanger (1965) ou 077 intrigue à Lisbonne la même année. Détournement délibéré du genre, farfelu, foutraque, excessif, sinon brouillon, Lucky ne s'embarrasse d'aucune cohérence. Mieux, Lucky empreinte sa fantaisie et son esthétique à l'univers des comics, et autres fumetti un an avant le classique pop psychédélique de Mario Bava, par l'insertion occasionnelle de bulles et de récitatifs, quand le long-métrage ne lorgne pas vers la satire surréaliste à l'image dudit marché évoqué plus haut.


Révélé en 1960 avec le film La chute d'un caïd, puis interprète de deux épisodes de la série Sandokan en 1964, pirate malais popularisé l'année précédente par Steve Reeves sous la direction d'Umberto Lenzi, l'acteur Ray Danton incarne, avec une jubilation certaine, ce super espion infaillible et séducteur. Entouré d'une cohorte de donzelles, plus ou moins malveillantes, dont la brune Rosalba Neri, commandante de la police albanaise (et future Lady Frankenstein du film de Mel Welles, et Zoie dans le séminal WIP francien L'amour dans les prisons des femmes) ou la blonde Beba Loncar en ex-officier SS (et future Pandora dans Dieu pardonne, elles jamais! de Ralph Thomas), Lucky doit, comme il est de coutume, lutter contre le chef d'une organisation criminelle, joué par l'acteur francien Marcelo Arroita-Jáuregui (Le diabolique docteur "Z", Les maîtresses du Docteur Jekyll). A noter, enfin, pour l'anecdote, l'apparition du réalisateur dans trois rôles secondaires, dont celui d'un malheureux messager poignardé.


Filmé en Technicolor, cadré par le cameraman Jorge Herrero, rencontré lors du tournage de Falstaff d'Orson Welles deux ans plus tôt, et qui collabora l'année suivante à la photographie du surnaturel Succubus / Necronomicon du même Franco, Lucky, el intrépido se distingue son charme vintage pop 60's, et par la musique du compositeur italien Bruno Nicolai, premier acte d'une riche collaboration avec le cinéaste espagnol (Les nuit de Dracula, Les inassouvis, Une vierge chez les morts-vivants, etc.).


Une fantaisie francienne à découvrir.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2018/05/lucky-el-intrepido-jess-franco-1967.html

Claire-Magenta
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le 11 juin 2018

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