Mon papa, il était cinéphile lui aussi. Et il avait son fauteuil préféré, moelleux et ajusté à son anatomie. Alors, quand on matait un film, à la télé ou sur VHS, il tombait dedans de plaisir et se laissait emporter.
Ce qui était bien avec mon papa, c'est qu'il était bon public. Car il pensait souvent n'avoir jamais vu le film. A raison. Enfin, partiellement. En effet, il sombrait parfois dans les bras de Morphée au bout de dix minutes, dans une torpeur temporaire mais ô combien réparatrice. On le devinait quand sa tête tombait doucement en arrière, et qu'il dormait bouche ouverte, comme la vieille qui s'étouffe dans La Smala, parce que le sale gosse lui a mis trop de bonbons dedans. Ca arrivait généralement quand le film n'était, disons, pas très bon.
Maman et moi, si on se tenait éveillés jusqu'à la fin, c'était parce que les pieds du pater noster, s'ébattant nus et à l'air libre, exhalaient une fragrance analogue à celle d'un maroille qui se fait la malle, affiné depuis trois mois, oublié tout au fond du frigo. De celles que même les mouches tombaient et qui étaient capables de tuer un teckel d'un AVC froudroyant à plus de vingt cinq mètres de distance.
Le souvenir de cette douce odeur au goût d'étrange madeleine de Proust est remonté à l'occasion de la vision de ce Lucky Lucke, devant lequel, immanquablement, la conscience de mon papa n'aurait pas résisté. Sa lenteur et son statisme coupables l'auraient emporté à coup sûr dans la même torpeur que celle de mon enfance amusée.
Je ne me lancerai pas dans un jugement sur la justesse de l'adaptation, la seule BD de Lucky Luke que j'ai lue ayant dû me tomber des mains. Mais pas besoin de la connaître pour voir à quel point le choix de Jean Dujardin pour incarner le héros apparaît comme une erreur.
Oui, il faut que je vous le dise, je n'aime pas trop Jean Dujardin... Dans ses rôles comiques. Car dans le registre dramatique, force est de constater qu'il peut être formidable : Contre-Enquête (même si c'est un gros vilain film d'extrème droite), La French, Le Convoyeur... Son tort, dans l'oeuvre de James Huth, c'est qu'il n'a rien du charisme de Lucky Luke. Au contraire, avec sa mèche molle, son sourire niais (le même que dans OSS 117) et son allure de beauf (voulue sans doute par le réal'), toutes les tentatives d'iconiser le héros tombent systématiquement à plat. Les gags embarrassants ou très enfantins, soulignant plusieurs fois leurs effets pour les deux du fond, ne relèveront pas le niveau, pas plus que le personnage de Billy the Kid ridicule qui arrive à le battre, finissant de faire du tireur le plus rapide de l'Ouest un héros chiffe molle. Le fait qu'il soit vaincu par une demi-portion qui a le ventre qui gargouille parce qu'il a sauté son quatre-heures achève de décrédibiliser le cow boy, tout comme le trauma simpliste et naïf qu'il subit. Tout cela contribue à faire de la figure de BD un héros déjà fatigué alors qu'il est à peine né et présenté au spectateur. Problématique...
D'autres éléments ne sentent pas très bon la rose non plus, comme les pieds de Papa, la voix insupportable de Jolly Jumper en tête. Quant à l'apparition d'Alexandra Lamy, elle donne l'occasion inestimable de constater qu'elle chante aussi bien qu'un cancéreux du larynx sans aucun espoir de rémission. D'ici à penser qu'elle doit uniquement son rôle à sa relation d'alors avec Jean Dujardin...
Une ou deux fusillades, quelques beaux décors et l'apparition d'une Sylvie Testud à contre emploi sauvent cependant l'entreprise de la traversée du désert. Traversée dont le responsable semble être James Huth, incapable de la moindre déférence dûe au célèbre cow boy de Morris, livrant un film anonyme qui bafoue le charisme naturel de son héros et qui suscite seulement indifférence, ennui et torpeur.
Après avoir retiré ses chaussettes pour nous intoxiquer, Papa, dans un ronflement de vieille chaudière en fin de vie, aurait sûrement approuvé...