Tempe irréelle et temporel
Scarlett Johansson est d'une présence incroyable cette année. Trois de ses affiches sortis en 2014 semblent étrangement liées. Les œuvres de Spike Jonze, Jonathan Glazer et Luc Besson forment presque un triptyque. Le regard plein de hauteur d'une starlette sur l'humanité, sous différents angles. Par la voix de l'avancée technologique dans "Her", par une rencontre du 3ème type dans "Under the Skin" et par une évolution surnaturelle dans "Lucy". Il s'agit à chaque fois d'une héroïne au dessus de tous qui infuse la science humaine. L'homme se fait dépasser par le progrès, piéger par la beauté fatale ou analyser cérébralement, mais toujours illuminer par la brillante Scarlett Johansson. Allures et tempéraments différents, toujours convaincants.
S'il s'agissait d'une saga, ce dernier opus est bien moins pourvu de génie que les précédents. La mise en scène est d'une banalité affligeante, tout les effets sont outranciers et ne fonctionnent pas (la faute aussi à la bande-annonce). Il était bon d’espérer retrouver le Besson des années 90, mais le rêve s'arrête à la fin de la première scène.
Très bonne entrée en matière avec un dialogue qui pose efficacement l'intrigue de départ. Face à un cow-boy plutôt amusant au départ, dont l’acharnement devient de plus en plus inquiétant, Lucy tente de repousser fébrilement et poliment le plan foireux qu'il lui propose. On sait très bien comment cela va finir, néanmoins on se fait surprendre autant qu'elle lorsque le piège se referme. On sent une tension monter au fur et à mesure de cette introduction, le dialogue entre Richard et Lucy fonctionne très bien. C'est ni vain ni surligné mais très juste. Après ça se gâte.
Après tout il n'y avait pas tant d'attentes sur son travail de réalisation, et il faut reconnaître que dans cette extravagance il ressort un certain divertissement. La violence est surabondante, abus de ralentis et de coups dans le vide. La course poursuite en voitures dans Paris est excessivement ridicule. On peut éventuellement sauver le boulot visuel sur l'aspect science-fiction. Les effets spéciaux sont pas mauvais. Néanmoins, aucune maîtrise de l'anticipation et du fantastique dans le récit..
La mise en forme ne laisse aucune surprise, mais c'est surtout le scénario qui est (encore) le grand raté de Luc Besson. « Quelles seraient les facultés de l'homme s'il utilisait 100% des capacités de son cerveau ? ». L'idée de fonder une intrigue sur cette question est géniale.
Quand le professeur Norman (Morgan Freeman) commence son exposé on s'imagine que l'évolution de Lucy va l'illustrer. On croit comprendre que les pourcentages sont des chapitres. Malheureusement cet exposé est bâclé. Le scénario libère l'érudit et prend le parti de se focaliser sur le cas de Lucy. Où le film pourrait être ingénieux, il bifurque vers une simple superproduction.
Un enchaînement virulent de scènes d'actions visant le sensationnel. Une aventure fantastique qui ne trouve aucune once de vraisemblance et manque cruellement de circonstances et de consistance.
Tribulations superficielles bien orchestrées par la musique d'Eric Serra et la performance de Scarlett Johansson, qui renvoient très légèrement aux bons Besson (Nikita, Léon, Le 5ème élément). Avec malgré tout un manque immense dans le fond qui n'est pas loin de classer "Lucy" aussi parmi les daubes produites et/ou écrites par ce dernier (Taxi, Le Transporteur...). La scène d'ouverture et celle de l'appel de Lucy à sa mère (intelligemment enseignante et plutôt touchante) sont tout de même de vraies réussites. L'anticipation est ratée à l'écrit mais plutôt convaincante à voir.
Un peu comme « Insaisissables » était un pâle copie du « Prestige » de Nolan, ce « Lucy » est pas loin de ressembler à un sous « Memento ». Un film cérébral-corps.