Étrange sensation que procure le visionnage de Lucy. Celle, d'abord, d'avoir passé un bon moment. Un moment assez idiot, mais un bon moment tout de même. Celle, ensuite, d'avoir assisté au point d'orgue de la carrière de Scarlett Johansson.
Passé une introduction petitement Kubrickienne, Besson fait du Besson. Le prémices de base, selon lequel nous n'utiliserions que 10% de nos capacités cérébrales, est une pure farce, bien entendu. Une inexactitude ou une vague réalité falsifiée qui est en tout cas le point de départ d'un scénario qui tient sur un ticket de métro et dont (cette fois-ci c'est une vérité absolue) l'écriture n'a pas demandé l'utilisation de plus d'1% du cerveau humain. Aussi, ce concept fallacieux, probablement pioché dans la rubrique "Le saviez-vous ?" d'un livre de SVT de 6ème est-il exploité au maximum par un Besson pressé qui semble vouloir aller le plus vite possible pour ne pas (trop) être pris en défaut dans ses délires régressifs.
Il n'empêche que le film se prend très au sérieux, se veut ambitieux et, du premier climax sur lequel il repose (l'augmentation du pourcentage d'utilisation du cerveau), découle des conséquences assez inattendues et - aussi invraisemblables soient-elles - donnant lieu soit à des passages quasiment comiques, soit à des images pas très subtiles servant une mise en scène proclamée "d'auteur". En réalité, ce film de Luc Besson, sorte de série B de luxe, mélange primaire entre le divertissement grand public et le polar violent, s'arrête au moment de la diffusion du CPH4 dans le corps de Lucy.
Commence alors un tout autre film, d'emblée soutenu par une composition musicale à la hauteur de la transformation de l’héroïne. Au cours de ce second film, Besson interviendra par intermittences, en tant que scénariste-dialoguiste ("Le temps est la seule vraie unité" by Morgan Freeman), responsable des effets visuels (les déformations numériques superbes et les images de synthèses dans le corps humain - un peu moins belles), ainsi qu'en tant que réalisateur, le temps d'une scène de course-poursuite dans Paris qu'il est le seul à pouvoir si bien faire.
Mais la vraie protagoniste de cette partie-là, est - et cela ne fait aucun doute possible - Scarlett Johansson. À partir de là, elle porte le film à bout de bras, jouant à merveille tantôt la fragilité (petit bijou qu'est cette scène où elle appelle sa mère pour la prévenir de sa mutation en cours) tantôt la force surhumaine incontrôlable mettant à terre ou flinguant (presque) tous les hommes qu'elle croise. Ce travail de déconstruction de l'actrice, de la femme Scarlett Johansson, entamé depuis Don Jon et poursuivi avec un sens acharné pour les choix de carrière dans Her, Captain America puis Under the Skin est poursuivi ici avec un goût clairement plus prononcé pour le girl power emporté et incontrôlable. Elle est devenue l'actrice du moment, mais certainement beaucoup plus que cela, toujours plus proche de son spectateur et tutoyant les sommets, une espèce hybride et totalement paradoxale, objet ultime de l'appétit cinématographique, entre la femme et le surnaturel. Ceci donne facilement au film ce qu'il manque à beaucoup trop de blockbusters actuellement : du cœur et une âme.
S'emporter ainsi sur l'actrice vedette de Lucy pourrait presque nous faire perdre notre lucidité quant à la qualité réelle du film. Car une fois Scarlett évoquée, revient ce drôle de constat que de ne pas s'être ennuyé un seul instant mais de n'avoir pourtant rien à retenir de cette réflexion limitée sur l'élargissement de nos perceptions. C'est, hélas, sans doute la limite de Besson, plus apte à créer en nous le souvenir réjouissant d'un bon moment passé qu'à philosopher sur l'homme et le champ des possibles. Il ne sait pas le faire, ne saura jamais le faire, et n'aurait jamais dû le faire.