Au long de sa filmographie, Luc Besson a démontré une fascination claire pour les personnages féminins. De Nikita au Cinquiète Elément, le réalisateur a placé des héroïnes fortes, mais jamais surhumaines au coeur de son écriture. A ce titre, Lucy pourrait être l’occasion pour lui de cristalliser cette passion au travers de son personnage éponyme. Une femme comme une autre devenue malgré elle le pinnacle de l’humanité, faisait le lien entre la “Première Femme” (Lucie) et l’accomplissement final de notre espèce. Une ambition intéressante, cloisonnée dans un pitch de série B au postulat simple. Dans l’univers de Lucy, nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau - et c’est cette héroïne qui, pour la première fois, dépassera ces limites suite à l’ingestion accidentelle d’une nouvelle drogue. Ces idées offrent à Besson les clés pour créer une oeuvre pleine de promesse. Pleine de possibilités d’études sur l’intélligence et l’âme, sur l’avenir de l’humanité, voire sur l’image de la femme. Alors comment se fait-il que le résultat final soit à ce point dépourvu de toute forme de qualité narrativue, thématique ou artistique ?
Autant aller droit au but. En tant qu’objet cinématographique, Lucy est une catastrophe, presque une insulte. Besson est un homme d’idées, un conceptualiste intéressant. Un auteur qui, par le passé, à su faire démonstration d’un minimum de talent pour construire ses histoires, ses univers et les personnages évoluant à l’intérieur. Lucy est un échec sur chacun de ces points. Venant de l’homme ayant porté Leeloo, Nikita ou Mathilda à l’écran, le public pourrait s’autoriser à attendre une certaine qualité dans la construction de ses nouveaux protagonistes. Mais Lucy opère quelque part entre le vide artistique et le foutage de gueule.
Qu’il s’agisse de l’héroïne interprétée par Scarlett Johansson, du scientifique plein de sagesse dédié à l’exposition campé par Morgan Freeman ou le flic français joué par... euh... bref, l’univers de Lucy est peuplé d’humains unidimensionnels et pourtant absolument creux, sans nuances ni intérêt propre. Des êtres sans histoires, sans background, sans traits d’humanité pouvant créer une forme d’attachement de la part du public. Il y’a une idée claire derrière cette construction. La force de la féminité, symbolisée par l’objet de fantasme qu’est Johansson, par la drogue synthétisée à partir d’une molécule propre aux femmes enceinte, est au coeur de l’ouvrage. Mais cette force est traitée avec une lourdeur, un manque de subtilité presque terrible. Besson est tout sauf un amateur de la finesse, et Lucy ressemble presque à une caricature de ses défauts.
Formellement, Lucy est un film rythmé mais sans grand intérêt. Besson limite ses valeurs de plan à quelques gros plans et d’insupportables travelling avant à chaque évocation d’émotion. Pave son film d’allégories en forme de stock footage bien trop longue, bien trop lourde pour paraître intelligentes. S'offre quelques scènes d'action dépourvues de sens - une course poursuite bâclée dans Paris, une fusillade dans une université - avant de se plonger dans ce qui aurait pu devenir LE grand moment du film. Les vingt dernières minutes du film plongent le spectateur dans un délire kubrickien traversant l'espace et le temps. Censé représenter l’accomplissement de l’esprit humain, capable subitement de comprendre l’univers dans son infinité, cette séquence semble presque risible, visuellement impressionnante mais assénée trop lourdement pour devenir intéressante. Finalement, Lucy ressemble à une opportunité ratée. Une chance de construire un film de S-F intriguant, de créer un nouveau grand personnage féminin à ajouter à l’histoire du cinéma. Mais pris dans ses délires, dans une sorte de mégalomanie artistique en décalage avec ses talents réels, Besson se perd et livre un blockbuster creux. Un film miné par les mauvaises idées, par les lourdeurs d’écritures, presque idiot dans sa construction.
Loin de l’ôde à la grandeur des femmes que Besson semble vouloir produire, Lucy n’est finalement pas grand chose qu’une délire mal maîtrisé, que ne mérite sans doute pas que l’on n’y consacre ne serait-ce qu’ 1% de notre capacité cérébrale.