La séquence d’ouverture de Cool Hand Luke ressemble étrangement à celle de La chatte sur un toit brûlant : un Paul Newman à la dérive, une nuit d’ivresse, vaquant à des occupations absurdes : au saut d’obstacles du premier succède ici la décapitation minutieuse de parcmètres. Mais une différence de taille les sépare : chez Tennessee Williams, elle proclamait assez lourdement d’ailleurs les traumas et les regrets du protagoniste, tandis qu’elle illustre ici un goût presque poétique pour la contestation, dénué de tout discours. Luke en fera de même pour gober 50 œufs durs ou décider, un beau jour, de fédérer tous ses codétenus pour les rendre plus efficaces dans leurs travaux de forçat sur une route.
C’est d’ailleurs ce que l’un de ses rivaux initiaux lui reconnaîtra comme principale qualité : jouer avec rien dans la main : que ce soit au poker ou à la boxe, où, (à l’opposé exact de son rôle de fonceur sur le ring de Marqué par la haine), il encaisse les coups sans jamais pouvoir rester au sol.
L’univers carcéral, parfaitement restitué par la mise en scène, est indexé sur le principe de la ligne droite : des numéros, des horaires, un mitard, et de longues routes au bord desquelles on purge sa peine dans un travail harassant. Face à eux, un personnage mutique de garde chiourme n’existant que par son fusil tout aussi rectiligne, et ses lunettes miroir. Dans celles-ci se reflètent une voie se perdant vers un horizon inaccessible, et dont l’étendue ne symbolise ici que le caractère interminable des travaux à accomplir.
Dans ce cadre orthonormé, Luke est l’électron libre. Paul Newman est le comédien idéal pour un tel rôle : de la malice dans les yeux et sans trop en dire, il dégage un charme qui fait des ravages : sur les détenus, qui vivent par procuration sa vie de défis et d’évasions, et sur l’administration qui va tout faire pour le briser et le mettre au niveau des autres. Interlocuteur insolent d’un Dieu absent, (I guess you’re a hard case too, lui dit-il avec complicité) Luke a cette qualité fondamentale de la lucidité : il est la légende et le démystificateur à la fois, celui par lequel ses compagnons espèrent et celui qui leur dit aussi la vérité. I never planed anythng in my life, dit-il, refusant d’être le guide de quiconque : bouffon et brave (Your Luke's got more guts than brains, dit un camarade), borné et imprévisible, Christ (posé sur la table après son pari réussi avec les œufs durs) et Dada.
Pour cela, il aura bien entendu fallu chuter, mais non sans entrainer la brisure des lunettes dans la boue : Luke est devenu à lui seul le point au bout de cette route, l’horizon inaccessible au commun des mortels.
(8.5/10)
(P.S : mention spéciale pour le fameux discours du directeur, What we've got here is... failure to communicate. Some men you just can't reach, que j’ai entendu toute mon adolescence en préambule du mythique Civil War des Guns N’ roses et qui retrouve enfin aujourd’hui sa place originelle.)