Surfant sur ce nouveau courant qui voit se multiplier les adaptations de bandes dessinées au cinéma, la réalisatrice islandaise Sólveig Anspach, dont le précédent opus, Queen of Montreuil , ne s’est guère inscrit dans nos mémoires, s’inspire librement de l’œuvre éponyme d’Étienne Davodeau. Pour être tout à fait franc, on n’attendait pas grand-chose de cette histoire d’une femme coincée dans sa vie de famille (un mari garagiste, bougon et peu aimant, et trois enfants très accaparants) qui, souhaitant travailler, se rend à un entretien et, sur une sorte de coup de tête, rate délibérément son train et reste en rade à Saint Gilles-Croix-de-Vie, station vendéenne située sur la bien-nommée côte de Lumière.
On craignait donc le développement prévisible d’une émancipation revendiquée et assumée, accompagnée de rencontres forcément inhabituelles et déterminantes, le tout saupoudré d’un sirop épais d’angélisme bien-pensant et de clichés éculés, à l’instar du regard porté sur la nouvelle bourgeoisie de Montreuil confrontée à sa population métissée. Eh bien, nous sommes pris à notre propre piège, tant le film qui, dans une première demi-heure dévoile effectivement sa fabrication volontariste, se révèle de plus en plus surprenant et subtil dans la délicatesse et l’absence d’insistance avec lesquelles il traite son sujet ainsi que ses thématiques secondaires (la condition faite aux femmes et plus généralement l’oppression, la vieillesse mais aussi l’hédonisme de l’existence et le discernement entre la futilité et l’essentiel). À l’aune des journées d’escapade que s’offre la docile Lucie surnommée Lulu, chez laquelle se camoufle un feu qui n’attend qu’une allumette pour flamber à nouveau, le film semble constamment s’inventer, larguant les amarres et optant définitivement pour l’ouverture aux autres et à la vie.
En 1999, la réalisatrice avait déjà offert à Karin Viard un de ses plus beaux rôles avec Haut les cœurs ! Quinze ans après, leurs retrouvailles sont illuminées par le même jeu, simple et direct, de l’actrice, à l’opposé de la sœur manipulatrice et œdipienne de L’Amour est un crime parfait. Convenons qu’elle entraine plus de sympathie et d’adhésion ici. Sachant tirer parti de la lumière du bord de mer dans une période où les stations sont désertées, Sólveig Anspach livre un film attachant et émouvant, qui fait aussi la part belle aux seconds rôles dans un esprit gentiment loufoque où la solidarité le dispute à la pudeur, un auteur donc capable d’installer en quelques plans des atmosphères complètement opposées, (une séquence particulièrement oppressante dans un café) qui conduisent le spectateur des rires aux larmes, sans perdre de vue l’ode déclamée aux femmes, jeunes ou vieilles, porteuses d’avenir ou dépositaires de mémoire.