La sortie en salle d’une compilation de vues Lumière (l'appellation pour les plans Lumière de 50 secondes), est un objet culturel étrange, singulier. Pour le moins inédit.
Dès son générique d’introduction, un gros plan de La sortie des usines Lumière, vue inaugurale du Cinématographe. Puis zoom arrière depuis le photogramme figé d’un ouvrier sortant du travail et immortalisé par l’invention qui révolutionnera le XXème siècle. Thierry Frémaux, agenceur et bonimenteur de ce programme, familier des vues pour en être le gardien du temple en tant que directeur de l’Institut Lumière, nous rappelle alors que « le premier personnage de l’histoire du cinéma, c’est la foule, c’est le peuple »...
Se lance ainsi à plans feutrés un panorama généreux de 108 vues, sur les 1 422 référencées.
Photo du film LUMIÈRE ! L'AVENTURE COMMENCE
Bordé par la musique d’intérieur et en même temps élégiaque de Camille Saint-Saëns, contemporain des Lumière, le programme respecte l’esthétique originelle des plans, numérisés certes mais rendus à une prime jeunesse qui n’a rien d’artificielle. Respectant le bord arrondi des fenêtres de projection du Cinématographe, révélant les fabuleuses profondeurs de champs des vues iconiques (L’arrivée du train en gare de la Ciotat, L’arroseur arrosé) et, surtout, témoignant sur pièce de la saisissante sensibilité plastique des cadres 1.33 respectés, ce catalogue de vues réveille d’outre-tombe un monde évanoui et célèbre l’origine d’une certaine optique du monde. Plusieurs éléments réverbèrent la qualité de la restauration. Le reflet irisé des robes opalines sur la tôle du train à vapeur et la chorégraphie secrète des feuilles d’arbre sous le souffle d’un vent d’été sont autant de détails magnifiés au détour d’une vue Lumière qui révèlent la lame de fond esthétique de leur œuvre
Photo du film LUMIÈRE ! L'AVENTURE COMMENCE
Ce qui frappe, c’est l’évidence que Lumière a pleinement et totalement inventé le cinéma. Entendant par "invention" l'institution techniquement pérenne, d'un outil. Et par "cinéma", cet instrument de projection public dans lequel la foule vient se miroiter ou embrasser un masque plus confortable. Laissons à Méliès l’honneur de l’avoir transformé en spectacle à rêves et à Griffith de lui avoir forgé son langage.
Frappe aussi la certitude qu’il n’y a pas une esthétique Lumière. Lumière est une école (primitive, primale, prioritaire) comme le classicisme hollywoodien ou le constructivisme soviétique. Dans cette école s’exprime une multitude de sensibilités. Une vue Lumière où prime souvent l’enfance ou l’insouciance infantile n’a pas l’appétence baroque d’une vue d’Alexandre Promiot. L’orientalisme d’un Gabriel Veyre ne ressemble pas à l’application soignée d’un Constant Girel. Lumière, comme son outil, est un faisceau par lequel rayonnent des regards et se libèrent des horizons.
Photo du film LUMIÈRE ! L'AVENTURE COMMENCE
Dans une vue de Marseille, une devanture : « A la couronne du regret ». A l’image de cette pancarte, ce programme aurait pu jouer la nostalgie d’une France inventive, aux cœurs de la révolution industrielle et sur le seuil d’un siècle bouleversant (oubliant qu’elle est aussi l’entame de deux guerres mondiales et d’une lutte des classes internationales sidérantes). Mais Thierry Frémaux prend le parti salutaire d’établir « un regard historique et ethnologique sur une époque qui ne change pas. ». Sans angélisme, ces vues sont appréciées pour leur qualité visuelle, leur propos historique et leur valeur capitale dans l’histoire de l’art.
« L'écrin de la salle, d'où elles sont nées, restitue aux vues la pureté de leurs émotions »
Entre des analyses esthétiques et des commentaires ludiques, ce voyage à travers l’œuvre de Lumière, sans aucun doute, est pleinement un film familial. Le noir et blanc, le muet des images, ce sentiment spectral que peuvent dégager les vues ne doivent pas tromper les spectateurs : la respiration en chapitres courts du programme, le ton de la voix qui semble comme raconter une histoire au coin du feu, le plaisir dans ses heures de replis de voir que le lointain est une variation du proche, qu’un enfant vietnamien qui court résonne avec un autre enfant de bourgeoisie lyonnaise, tout cela sont autant de bons arguments pour voir le film entre adultes et enfants. Les Lumière dès leur origine, sans rien gommer de la réalité de ce qu’ils captaient, instituaient le cinéma comme un instrument d’égalité. Une belle leçon familiale.
Photo du film LUMIÈRE ! L'AVENTURE COMMENCE
Au fond, qu’est-ce que ce Lumière ! L'aventure commence ? On peut y aller en pensant voir un documentaire informatif, un film Wikipédia de luxe. Mais grâce à l’érudition, la simplicité et la familiarité légère du commentaire, les vues expriment pleinement leurs émotions. La salle de cinéma au contraire d’un musée, d’un DVD ou d’une soirée gala, telles que ces joyaux historiques ont déjà pu être montrés, permet de les sertir dans l’écrin idoine dans lequel elles sont nés et vers lesquelles elles renaissent, comme naturellement.
P.S. : Restez jusqu’à la toute fin. C’est dans le dernier plan, en écho renversé au premier, que la forme cyclique du film prend son sens.
Par Flavien, pour Le Blog du Cinéma