C'est évidemment à un exercice assez jubilatoire que se livre Roman Polanski, puisqu'il traite de comportements sexuels déviants radicaux en en retirant le trash (toutes les pratiques ne sont qu'évoquées, au mieux décrites par Oscar), mais en conservant les relations de pouvoirs et les sentiments de chacun des protagonistes. Rarement des comportements qu'on trouverait immédiatement maladifs n'auront semblés si logiques et si bien retranscris (seul l'épisode de la découverte du goût pour le SM est un peu expédiée, c'est justement à ce niveau que La vénus à la fourrure se révèlera beaucoup plus subtil). Lunes de fiel n'est jamais aussi bon que quand il suit la vie de couple d'Oscar et Mimi, relation qui commence d'ailleurs par la domination de Paul, même quand il se livre au jeu du soumis et qu'il dicte avec impétuosité les sévices qu'il veut se voir infliger. Mais la lassitude succédant à la passion, une nouvelle forme de torture vient s'inscrire dans leur relation. Torture morale et frustrations quotidiennes, une banalisation de la violence psychologique assez révoltante question maltraitance. Et la relation garde alors toute son intensité, mais en basculant sur le terrain de l'humiliation de l'autre. Une dégradation progressive, qui culmine dans la cruauté avec le sort d'Oscar une fois handicapé, et totalement dépendant d'une aide extérieure. Qui cultive dès lors son isolement et ne perd jamais une occasion de le rabaisser. C'est à la fois révoltant et totalement fascinant, car on s'aventure sur un terrain psychologique déviant avec une intensité totale, une progression constante, jusqu'au grand final, la fête de fin d'année, qui fait culminer les vexations et exploser les frustrations. Lunes de fiel, c'est tous les visages déformés de l'amour, l'exultation de la jalousie, la prédominance des désirs immédiats sur le sens qu'on donne à sa vie sentimentale. Mais c'est en partie frustrant. Car si le film cultive l'art de la frustration subtile, il délaisse la finesse pour se complaire dans la vulgarité de la mise en scène (c'est fonctionnel, mais pas particulièrement virtuose, voir même assez banal à plusieurs reprises). Le revirement saphique de Fiona était annoncé, mais sa consommation fait hausser le sourcil (vraiment, un simple "elle pourrait tenter tout le monde" en parlant de Mimi suffisait à annoncer l'évènement ?). La seule raison qui nous fasse accepter ce revirement, c'est la mine piteuse de Nigel, moqué par un Oscar castré dans son fauteuil et assistant à son échec (son piètre "mais j'ai écouté votre histoire !" est une merveille de frustration quasi enfantine) doublée de la trahison de sa moitié. Polanski n'a jamais été aussi efficace pour se moquer de l'orgueil masculin et son insatiable désir charnel, dont la décadence est ici consacrée, en plein milieu d'une fête en totale débauche (bagarres, vomissures, ivresse indécente, le cadre est dégueulasse, sans avoir un charme particulier). La sortie en uppercut tente d'ouvrir sur un potentiel remède à la structuration du couple : les enfants. On s'y attendait un peu depuis un dialogue abordant le sujet en milieu de film, mais ici, le clou est planté. Ne reste plus qu'un moyen de dompter ses noirs désirs, et tout sera parfait. Et frustrant pour cette privation de la noirceur sur l'incapacité du désir à perdurer. Lunes de fiel reste néanmoins une sacré pièce de collection au rayon drame psychologique, et une certaine efficacité de ses portraits lui offre l'assurance de bien vieillir. Si la Vénus fustigera l'homme intellectuel en le rabaissant à l'enveloppe de la chair, le culte des promesses d'extases foulées au pied par la maîtresse sadique était un premier visage que Polanski aura esquissé non sans reproches, mais avec cohérence.