Occhiali Neri : un retour enfin réussi pour Dario Argento.

A 80 ans passés, le Maître du Frisson revient derrière la caméra après plus de dix ans d’absence. Son dernier film, Dracula 3D, était passé totalement inaperçu (à juste titre). On peut considérer que l’italien légendaire n’a rien fait de bon depuis une bonne vingtaine d’années et l’honnête Le Sang des innocents, qui marquait un retour aux sources : un bon giallo bien sanglant, parsemé de belles idées, notamment celle du détective qui perd la mémoire (Max Von Sydow), tourné à la même époque que le Memento de Christopher Nolan.
Cependant, les amateurs du genre reconnaîtront que le dernier grand film d’Argento remonte à 1987 et son festival d’horreur baroque : Opera, une relecture libre du Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux.
C’est donc partagé entre le plaisir de voir pour la première fois au cinéma une œuvre de mon idole Dario Argento et l’inquiétude de voir un énième film de série B que je me rends au Cinema Massimo à Turin en fin d’après-midi, alors que je profite de quelques jours de vacances ensoleillées. Heureux hasard !


Un tueur de prostituées sévit à Rome. Il prend pour cible Anna (Ilenia Pastorelli), qui devient aveugle suite à un terrible accident de la route provoqué par ce dernier. Aidée par Rita (Asia Argento, impeccable), spécialiste de l’assistance aux aveugles, Anna apprend à vivre avec son handicap. Elle recueille le petit Chin, un garçon de dix ans ayant survécu à l’accident alors que le tueur en série va tout faire pour finir le travail.


Écrit au début des années 2000, remis sur les rails sous l’impulsion de sa fille Asia, le scénario d’Occhiali Neri trotte dans la tête du réalisateur depuis plus de 20 ans, et c’est avec beaucoup de minutie qu’il s’applique à dévoiler son projet.


Occhiali Neri s’ouvre sur une scène magnifique : en fin d’après-midi à Rome, les chiens aboient, les passants s’arrêtent alors qu’a lieu une éclipse solaire totale. C’est avec une rare sobriété que Dario Argento film cette introduction à la fois prémonitoire et crépusculaire, probablement la meilleure scène du film. Quelques minutes plus tard, un meurtre a lieu à l’écran : brutal, sanglant, long et agonisant. Argento n’a pas rien perdu de son art, sa fille Asia déclarait à juste titre à la Berlinale : « Personne ne peut faire un film à la Argento comme un Argento. »


Avec Occhiali Neri, Dario Argento revient à son premier amour : le giallo. Les références à sa filmographie sont nombreuses. On pense inévitablement à son deuxième film, Le Chat à neuf queues, dans lequel le personnage principal est aidé d’un aveugle pour trouver le meurtrier. La passion d’Argento pour les animaux est omniprésente : ses trois premiers films portent le nom d’un animal, Ténèbres utilise les rats et Phenomena les insectes. Soyez avertis : dans Occhiali Neri, ce sont les chiens qui ont leur rôle à jouer, vous y repenserez en sortant du cinéma !
Argento a toujours porté une grande attention à la bande-son de ses films, primordiales : si les bandes originales de Goblin sont devenues mythiques, rappelons qu’il a aussi plusieurs fois travaillé avec la légende Ennio Morricone. Pour Occhiali Neri, c’est une fois de plus Asia (également coproductrice) qui a proposé les services d’Arnaud Rebotini. Le français s’en sort avec les honneurs, composant une bande son angoissante qui colle parfaitement à l’image, dans la droite lignée des meilleures OST de Goblin et de John Carpenter, un délice.


Pour autant, Occhiali Neri n’est pas parfait et peine à convaincre au plan scénaristique. Le scénario est cousu de fil blanc, les motivations du tueur de prostituées sont à peine explorées sinon inexistantes, bref : on a connu Dario plus inspiré pour dérouler le fil de son intrigue. Il faut voir ses premiers gialli et surtout Profondo Rosso, mais aussi Phenomena ou Ténèbres, car toutes ces œuvres brillent par une rare intelligence scénaristique : bien malin celui qui pouvait deviner l’identité du meurtrier !
Néanmoins, son film s’inscrit parfaitement dans l’ère post #MeToo, et la présence au casting de sa fille Asia n’est certainement pas un hasard.
En conclusion : un très bon giallo pour Maître Dario, qui prouve à plus de 80 ans qu’il n’a rien perdu de sa superbe et sait toujours aussi bien s’entourer. Chapeau bas.

BertDévigne
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le 2 mars 2022

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Bert Dévigne

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