M est un premier film, une toute première fois touchante et fougueuse qui manque parfois d’originalité dans le récit de l’histoire d’amour, mais qui sait créer de l’émotion, en jouant sur les corps à corps au-delà des mots. En effet, Lila est bègue (c’est Sara Forestier) et Mo ne sait pas lire (c’est Redouanne Harjane), mais ils vont s’aimer, se déchirer et peut-être bien se retrouver.
M est un premier film qui n’hésite pas à foncer dans les clichés des histoires d’amour grandiloquentes, impossibles et qui finissent bien en général. Pourtant, Sara Forestier y distille de la douceur comme de la brutalité et donne au personnage de Lila une interprétation plutôt touchante. On regretta seulement un sens de la mise en scène plutôt minimaliste voire absent, les plans se succèdent sans audace particulière, et surtout sans construction savante. Cependant, ce n’est peut-être pas ce que recherche Sara Forestier qui décide avec M de se placer du côté de l’émotion, en refusant de prendre des postures et en osant même la naïveté assumée dans la construction de son histoire d’amour centrale : du coup de foudre au rabibochage express. Le film finalement lui ressemble : fougueux et naïf, doux et rugueux, fonçant dans le corps à corps des gens qui s’aiment, qui se racontent et qui s’écorchent, toujours à vif. La mise en scène est une mise en scène du corps, sans cesse clouée à eux, à leurs désirs, à leurs douleurs. Ainsi, Mo (le fameux « M » du titre, mais pas que) est un homme sec et nerveux. Sara Forestier répète ainsi à loisir (en interview) que Redouanne Harjane a dû perdre 20 kilos pour ce rôle. C’est d’ailleurs son tout premier rôle qu’il interprète tel un animal en cage. Il dessine un être blessé, un gueulard qui roule à fond dans sa bagnole de « sale type » ou de « frimeur » comme dirait sœur de Lila, petite fille sauvage, elle aussi. Pourtant, il joue surtout une fêlure, un gars qui veut une toute petite souris à protéger et qui ne supporte pas trop quand elle sort de sa cage, s’épanouit. Mais Lila n’est pas prête à se ratatiner devant lui. Elle va aller percer son secret, l’émouvoir comme jamais, l’accompagner. S’aimer c’est aussi parfois être la béquille de l’autre, son cocon, un peu à la « toi et moi contre le reste du monde ».
Pour le réconfort
L’originalité ou du moins l’intérêt du propos de Sara Forestier tient peut-être dans sa réflexion sur le langage ou du moins l’impossibilité à le faire émerger. Quand Mo rencontre Lila, elle ne parle pas ou plutôt elle refuse de parler, par peur du ridicule, par crainte de ne pas parvenir à terminer sa phrase à temps. Elle est bègue et en a honte. Elle veut alors faire un dessin à Mo, écrire, mais lui qui ne sait pas lire et ne veut pas le dire le prend très mal. Il se jette donc sur elle, la griffe, l’emprisonne, la force à sortir un cri. C’est le temps du corps à corps, des séances de lutte doucereuses entre les deux amants (avant les séances de lutte tout court). Il a 30 ans, elle en a 18 (même si on peine un peu à croire à cette histoire de Sara Forestier qui passe le bac). On sent très bien les influences d’une actrice qui a fait ses débuts auprès d’Abdellatif Kechiche. Il n’y a pas de concession. Il y a de la poésie (métaphorique et réelle, balancée comme ça sur un fond noir, ce sont les mots de Lila), sur les contraires qui s’attirent, le besoin de réconfort. Il y a donc beaucoup de déjà-vu dans M, mais aussi des scènes très atypiques, comme ce coup de foudre improbable, cette longue non-conversation dans la voiture, où rien ne sort, un dîner improbable dans un restaurant. Et tous ces moments où le corps ne peut plus rien quand se sont les mots qui doivent sortir et que rien ne vient, quand c’est trop dur, quand on ne veut plus. Récemment, Sara Forestier a dit combien l’injonction à être sexy pour une femme pouvait être étouffante et devait être combattue, dans M, elle prouve complètement cela et ses personnages se fichent des apparences. Mo cogne, refuse qu’on lui parle mal, gueule. Lila ne parle qu’à ceux qui l’écoutent, écrit des mots dégueulasses qu’elle rend beaux. C’est un film sauvage, naïf, tendu, rêveur, tout ça à la fois. Il promet à Sara Forestier quelques moqueries, mais il touche aussi au cœur, car il ressemble à d’autres histoires d’amour filmées au cinéma et à aucunes à la fois. Les acteurs sont incroyables souvent, Redouanne Harjane ne semblant pas toujours savoir comment jouer juste, mais donnant beaucoup. M frise parfois le ridicule mais atteint souvent quelque chose d’autre, entre le burlesque et l’art de rue, comme un cri dans la nuit, qui viendrait du tréfonds d’un corps qui enfin se libère. Car la nuit, le silence est unique, transperçant, inspirant autant que déchirant.