Le chant de douleur de Menahem

Après l’épineux documentaire Would you have sex with an Arab ? (Feriez-vous l’amour avec un arabe ?), la réalisatrice Yolande Zauberman revient avec M, un autre documentaire plongeant au cœur du milieu juif ultra-orthodoxe israélien sous le spectre du viol d’enfant. La réalisatrice sait appuyer et questionner là où ça fait mal, voire très mal sans juger ses protagonistes. Au contraire, elle les laisse déambuler, se questionner et parler. Tout se passe autour du dialogue et de la rencontre de l’autre.

M suit le retour de Menahem Lang à ses origines. Après être née à Bnei Brak, quartier juif ultra-orthodoxe à 20 minutes de Tel Aviv et après avoir été violé étant enfant par trois hommes adultes dont un rabbin, Menahem s’est enfui lorsqu’il avait 20 ans. Il est devenu chanteur et acteur à Tel-Aviv et Yolande Zauberman s’intéresse à lui lorsqu’elle le découvre parlant yiddish dans un film israélien. Le yiddish étant une langue ayant presque disparue après l’Holocauste, il est rare de l’entendre parler de la bouche d’un jeune homme. Plus tard, Menahem fait scandale en Israël lorsqu’il s’arrange pour diffuser à la télévision une caméra cachée de l’un de ses agresseurs confessant ses crimes. Lorsque Yolande Zauberman lui propose ce documentaire, il s’agit d’un retour aux sources mais aussi un retour sur le lieu des crimes dix ans après son départ.

Menahem cherche à la fois à retrouver ses agresseurs, renouer avec ses racines, essayer de reprendre contact avec ses parents, guérir de ses blessures mais aussi engager un dialogue. Pour le suivre, Yolande Zauberman pose sa caméra sur l’épaule et épouse au plus près les visages de ses personnages. C’est n’est pas une caméra qui dérange puisqu’elle se fait discrète et fait partie intégrante du cheminement de Menahem. De même, la voix off de Yolande Zauberman n’est pas omniprésente. Elle nous présente la genèse du projet au début du documentaire et reprend la parole une nouvelle fois à la fin pour apporter ses conclusions et proposer une ouverture.

Dans M, la parole est extrêmement libre et Menahem n’hésite pas à évoquer son passé sans filtre ce qui donne lieu a des situations et dialogues ahurissants puisqu’il croise, par hasard ou non, d’autres victimes sur son chemin. S’enchaînent des échanges crus sur la pédophilie comme étant presque un trait culturel de cette société mais les discussions tournent aussi autour de la religion, de la sexualité et de l’amour.

M est un documentaire choc qui nous plonge dans un monde inconnu à mille lieux de notre culture mais qui, pour autant, y voit naître les mêmes bourreaux. Par la personnalité lumineuse et forte de Menahem, M filme le retour, l’échange, la rencontre et la réconciliation. De même, la réalisation s’inscrit dans la veine de films récents comme Les Chatouilles, Grâce à Dieu ou bien Leaving Neverland qui aident à délier les langues, combattre les tabous et permettre une réflexion commune sur des sujets de société graves dont il nous faut sortir du cerce vicieux de la souffrance infligée à autrui, et plus particulièrement aux enfants.