Habitué du cinéma d’animation, Adrià Garcia signe là son premier long-métrage de fiction. Une réalisation qui mobilise presque autant d’enfants que d’adultes, tant il est vrai que « Ma famille et le loup » se situe à la jonction de deux univers et, conjointement, dans le mariage de deux tons : grave et fantasque, voire fantastique.


La première subtilité du film réside dans le fait de ne pas scinder les mondes et les tons qui leur seraient spécifiquement affectés, mais au contraire de les mêler en un va-et-vient constant. Des adultes - une fratrie (Pierre Rochefort, Bruno Salomone, Franc Bruneau et Baptiste Sorbonne) avec femme et enfants - se réunissent, dans le sud, autour de leur mère (Carmen Maura, tant vue chez Almodovar, et ici très touchante), à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de celle-ci. Les cousins peuvent ainsi se retrouver, ou se découvrir en franchissant les aprioris géographiques qui amenaient d’abord à ostraciser le petit Parisien (Enzo Ingignoli), moins coutumier de ces réunions. Mais la fête prend une tournure singulière, lorsque l’aïeule annonce sa mort prochaine, programmée le jour de ses quatre-vingts ans...


Face à cette nouvelle, les tons vont pouvoir se mêler, et même valser parfois joyeusement : dans le camp des adultes, certains ont reçu le message, d’autres l’esquivent ; l’un se projette déjà au-delà de cette mort, affichant une attitude responsable et prévoyante, les autres se réfugient dans l’inconscience et l’insouciance de l’enfance, multipliant les défis et les jeux puérils... Sous le regard sévère des supposés enfants qui, eux, ont mesuré la gravité de la situation et décident, dans une union sacrée, de prendre les choses en main en supprimant le méchant loup qui menace d’emporter leur adorable grand-mère... Car la mort leur a été annoncée délicatement, par une Mamie Sara qui a préféré métaphoriser la réalité et la parer des atours d’un conte : c’est donc en effet un loup qui, suite à une chute qui aurait pu être mortelle, a consenti à épargner la vie de Sara, dans sa jeunesse, mais viendra réclamer son dû, au jour fixé.


Ce récit crée l’occasion, pour le réalisateur et son équipe, d’un retour à l’animation, puisque c’est par ce moyen, très doux, esthétique, et subtilement coloré, que le récit de la grand-mère est mis en image. Dès lors, le scénario prend les allures d’une course contre la mort, donnant à voir les ingénieux stratagèmes élaborés par les enfants pour repousser « le loup ».


La musique de Stephen Warbeck, discrètement symphonique, nimbe le récit de nostalgie, annonçant l’inéluctable, mais soulignant la beauté joyeuse de l’énergie déployée pour lutter contre lui. L’animation en 3D est ponctuellement employée pour faire vivre le loup et lui faire prendre corps face à ses petits adversaires puis, finalement, face à la grand-mère. Une autre silhouette adulte intervient également, plus fugace, mais importante, celle de l’acteur et musicien flamand Wim Willaert : il campe un ivrogne misanthrope qui pourrait évoquer Birol Ünel dans le somptueux « Head-On » (2004) de Fatih Akin, mais qui sera le seul adulte à épouser la cause du combat mené par les enfants, même si, pareil aux apôtres du Mont des Oliviers, il s’endort pesamment à l’heure de l’ultime résistance...


On pouvait craindre une banale leçon de morale, présentant la mort sous la caution de l’Ananké, la Nécessité grecque. Adrià Garcia et ses deux co-scénatistes, Victor Maldonado et Alfredo Torres Martinez, se montrent plus subtils, puisque la mort, qui n’est ici jamais montrée dans sa matérialité crue et horrible, n’apparaît finalement comme supportable que si elle se retrouve totalement transposée, dérobée, et prend la figure animale d’un mystérieux « ami » nocturne et un peu inquiétant, qui emporterait le défunt...

AnneSchneider
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le 22 août 2019

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Anne Schneider

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