1. J'ai eu bien des inquiétudes à propos de The Death and Life of John F. Donovan, pendant sa longue gestation. Mais non, le film est très bon. Pas sans défauts, mais intéressant de bout en bout, touchant et parfois même émouvant. Et au démarrage du générique final, je me suis dit : "Cette fois encore, Xavier Dolan ne s'est pas ramassé et nous a sorti un film qui vaut le coup. J'irai le revoir".
Oui, j'irai le revoir pour mieux le comprendre.
Mais voici mes impressions à chaud. Le film peut faire fouillis, du fait des trois niveaux d'histoire : la vie de John Donovan, celle de Rupert Turner enfant, le 3ème niveau étant l'interview, par une journaliste, de Rupert Turner jeune adulte à l'occasion de la publication des lettres que Donovan lui a envoyées dix ans plus tôt ; on passe sans cesse d'un niveau à l'autre et chacun de ces niveaux comporte lui-même une succession de scènes, des ellipses, etc. On sait que le film a été monté et remonté pendant des mois et... ça se sent un peu. Mais une fois rentré dans l'histoire, on s'habitue assez vite à ce rythme plutôt haché.
Au moment des faits ayant entraîné la mort de John Donovan, celui-ci a 29 ans et Rupert Turner onze. Ils correspondent par lettres (expédiées par la poste) depuis déjà cinq ans (ce qui paraît improbable, mais le scénario est comme ça : Rupert fan de John Donovan lui a écrit dès l'âge de six ans et l'acteur lui a répondu). Ils ne se sont jamais rencontrés en vrai et leur correspondance est purement amicale. Le film raconte leurs vies parallèles et forcément très différentes l'une de l'autre. Mais comme Rupert Turner apparaît dans deux des trois niveaux évoqués plus haut, il tire assez la couverture à lui dans le film et, cinématographiquement, étouffe un peu la figure de John Donovan, pourtant supposé être le personnage principal de l'histoire (si l'on se base sur le titre original anglais).
Donc, le spectateur peut ressentir une légère frustration à ce sujet : le "mystère" John Donovan (les joies et difficultés de son existence, son effondrement psychologique au moment même où sa carrière d'acteur est en pleine ascension et sur le point de prendre une dimension supplémentaire) peut paraître survolé, insuffisamment détaillé. En tout cas, je l'ai ressenti comme ça. D'où ma volonté de revoir le métrage : pour mieux comprendre ce personnage complexe et partagé. J'aurais aimé que son histoire soit plus développée, en savoir plus sur lui, notamment ses relations avec les personnes comptant vraiment dans sa vie, car le "mystère" du film, c'est lui, pas un gosse de onze ans, aussi prometteur soit-il.


Sinon, rien à redire sur la photographie, les décors, la bande son ; j'ai trouvé ça nickel chrome.
Les acteurs et actrices sont à leur diapason, étincelants... avec, là aussi, un bémol pour Kit Harington qui, dans le (il est vrai) très difficile rôle de John Donovan, ne m'a pas entièrement convaincu. Mais ça a quand même été un vrai plaisir de passer deux pleines heures avec des comédiens de cette qualité et de ce charisme.
Pendant la dernière minute du film proprement-dit et tout le générique de fin, on a droit en bande son à Bitter Sweet Symphony qui insiste sur la tonalité douce-amère du film
("Cause it's a bittersweet symphony this life
Trying to make ends meet, you're a slave to the money then you die
").


Pour ma part, je suis sorti de la projection en pensant tantôt à la triste et mystérieuse mort de John F. Donovan, tantôt à la vie heureuse du jeune Rupert Turner, devenu comédien et auteur, qui fait forcément écho à celle de Xavier Dolan. Et au sujet de celui-ci, un souhait m'est venu aux lèvres : pourvu que ça dure !
Xavier Dolan est l'exception qui confirme la règle pourtant mille fois vérifiée, qu'on ne peut sortir de l'ombre sans éveiller l'envie, la jalousie, même la haine, avec leur cortège de médisances et de calomnies.
Puisse-t-il continuer, au contraire du malheureux héros éponyme de ce film, à passer entre les gouttes !


2. Ayant vu le film une seconde fois, je complète ma critique par quelques remarques. Le film est à la fois très riche, très dense, et son montage très resserré. Les scènes se succèdent sur un rythme hyper soutenu. Difficile de tout enregistrer, de tout capter à première vision.


Contrairement à mon sentiment initial, l'effondrement de John Donovan est, en fait, clairement expliqué (qu'on accepte ou non cette explication) : il "craque" et meurt, parce qu'il veut tenir son homosexualité secrète aux yeux du monde et que cette volonté est contrecarrée par le hasard d'une double révélation malheureuse, dont les conséquences (rupture avec son agent artistique Barbara, rupture avec son amoureux Will, enfin perte du grand rôle qui lui était a priori acquis) achèvent de le déstabiliser.
Dix ans plus tard, ayant tiré leçon du tragique destin de son correspondant épistolaire, Rupert Turner vit, lui, à visage découvert, une condition sine qua non de son bonheur.


On comprend bien que le film est un plaidoyer implicite du réalisateur pour lui-même et sa façon de vivre son homosexualité sans la cacher ; une tentative de justification aux yeux du monde.
Et qu'on apprécie Dolan ou pas, il faut quand même lui reconnaître une certaine crânerie, quand il conclut son film en nous disant (par le truchement de Rupert Turner, 21 ans) que le bonheur amoureux et l'épanouissement artistique, il les vit et savoure en ce moment même, sous-entendu : je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, peut-être des catastrophes, des désastres, mais en attendant, je ne vis pas dans le mensonge, je n'avance pas masqué, je ne cache rien d'essentiel, ma vie est conforme à ce que je suis vraiment, je dis et crée ce que j'ai, moi, envie de dire et de créer, et c'est la condition de mon bonheur, car oui, je suis heureux, ici, maintenant, autant qu'il est possible... et tant pis si à Hollywood ou ailleurs, ça fait grincer des dents.


P. S. Ma critique est une analyse du film de Dolan, notamment de son contenu. J'y expose ce qui me semble être le point de vue du réalisateur, rien d'autre. Donc, merci de ne pas y voir une incitation à faire son coming out.

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le 14 mars 2019

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Fleming

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