So terrific
La gloire du pianiste Liberace, qui fut, parait-il, énorme aux États-Unis, n’a jamais atteint l’Europe. Pour la majorité des spectateurs, il s’agira d’abord d’une découverte, celle d’un artiste adulé...
le 24 sept. 2013
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1977, Las Vegas. Bob Black amène son ami-amant voir le show d’un pianiste fantasque. Ils pénètrent dans une salle pleine de ménagères quinquagénaires redevenant des filles en fleur le temps d’une soirée. Au-dessus des gloussements, une mélodie au piano enrobe la pièce d’un cocon séducteur. Sur scène, un piano triomphe orné d’un candélabre. Sous les plumes, les strass et les paillettes, Scott Thorson (Matt Damon) découvre – tout comme le spectateur – l’exubérant Liberace. Steven Soderbergh ne pouvait rendre mieux grâce à son sujet en le montrant au premier abord dans tout son rayonnement, presque sa sacrosainteté. Une image marquetée dont le film s’éloigne presque immédiatement : « mais comment ne voient-ils pas qu’il est gay ? » s’étonne le prochain Mr. Liberace. Ma vie avec Liberace, ou plutôt Behind the Candelabra, est justement le récit de l’envers du décor, une sorte d’introspection derrière le faste, derrière le personnage.
Inconnu en France, Liberace est une figure majeure de l’Entertainment américain. Pianiste émérite, il est adoubé par la société américaine qui lui offre sa propre émission télévisée. Il modernise le genre – s’adressant directement à la caméra pour la première fois – et devient l’artiste le mieux payé au monde durant des années. Un train de vie qui lui permet d’ériger un royaume à son image. Summum du kitsch, son univers outrancier dans lequel le bling-bling est roi sert d’écrin à son plus grand secret : son homosexualité. Un palais digne de « Louis II de Bavière » qui devient un harem à la gloire du corps masculin regroupant divers Adonis de passage. L’intelligence de la mise en scène de Steven Soderbergh est de participer à la glorification des fantasmes du Pianiste-Roi. Il surprend le spectateur amenant sa caméra où le regard homosexuel se pose. Il dévoile le visage de Scott Thorson à travers les jambes du Majordome ultra-moulé dans son minishort. Le regard de Soderbergh atteint un degré de sensualité palpable sur ces corps nus. Il se place dans un culte de la beauté qu’il partage avec son personnage avide de rester jeune par la chirurgie ce qui amène plusieurs scènes d’anthologie avec le Dr. Jack Startz (Rob Lowe, hilarant).
Ma vie avec Liberace doit sa réussite et sa sensualité à l’époustouflant travail de composition de Matt Damon et Michael Douglas. Aidés par un remarquable maquillage, ils apportent à leur personnage une fragilité palpable, un sentiment que la cassure est toujours à fleur de peau. Matt Damon renforce sa position d’acteur de composition. Michael Douglas, renaissant, ne semble pas jouer mais véritablement incarner cet empereur mégalo avec un air taquin et humoristique qu’aucun réalisateur n’avait encore percé. Jamais il ne tombe dans une démesure gratuite, il est cette « vielle folle » – comme le dit Scott – dont le fantasque amuse et finalement séduit même le spectateur. Michael Douglas ironise d’ailleurs en résumant le film à « une histoire d’amour entre Jason Bourne et Gordon Gekko » – rôle emblématique des deux acteurs. Plaçant ainsi le film totalement dans son contexte homosexuel. Il faut dire que si le film dresse un portrait de l’homosexualité à la fin des années 1970 dans un show-business qui opte pour la politique de l’autruche devant l’évidence. Même à sa mort, les attachés de presse de Liberace nieront qu’il est mort du sida. Ma Vie avec Liberace amène également la question de l’homosexualité dans le cinéma contemporain. Steven Soderbergh s’est en effet vu fermer les portes de nombreux studios en raison de son thème. Le plus troublant étant la place de la liberté de l’art et de sa parole face à une logique coûts/bénéfices.
Steven Soderbergh livre un des films sur l’homosexualité les plus aboutis. En dehors des clichés gays que véhiculent Liberace et que Soderbergh ne peut amputer à son histoire, Ma Vie avec Liberace dissèque au plus profond les thématiques et les réflexions homosexuelles : l’orientation sexuelle d’abord avec la bisexualité de Scott Thorson, puis la question de la position de chacun dans le couple (le refus de passivité de Scott), pour enfin traiter de l’évolution d’un couple non-reconnu par une entité administrative et dont la seule sauvegarde se fait par une absurde adoption. Bien que centré autour de la figure tutélaire de Liberace, le film est également l’éducation sentimentale et sexuelle de Scott Thorson. Une histoire d’amour touchante et dévastatrice entre deux êtres blessés par la vie et perpétuellement abandonnés : Scott dans son enfance, Liberace par la célébrité.
Soderbergh enferme le couple dans des lieux constants dans lesquels les scènes semblent se rejouer. C’est ainsi de la répétition que jaillit le détail et la finesse du traitement psychologique des personnages. A la manière d’un cercle, le film suit son cours emprisonnant les deux hommes dans la fatalité de leur condition : leur amour naît et meurt au sein de la même sphère. Soderbergh ne s’attarde alors seulement dans trois lieux distincts. La loge, lieu écrasé par l’aura artistique de Liberace, verra naître l’intérêt mais aussi l’indifférence. Le Jacuzzi amène la sensualité et l’ambiguïté pour y opposer avec encore plus de force les vides et les silences qui s’y installent. Enfin, la chambre d’abord antre de la passion ne sera plus que frustration et routine. L’œuvre de Soderbergh se clôt d’ailleurs à la manière d’un cercle, s’il s’ouvre sur la prestation de Liberace, c’est pour finir sur son plus grand drame – sa mort – que Scott transforme en un dernier spectacle dantesque.
Ma Vie avec Liberace repose également sur un savant mélange des genres, ne tombant ainsi dans aucun des pièges du biopic larmoyant. Soderbergh apporte à son traitement de l’homosexualité, et par extension à la société des années 1970, un humour percutant qui se joue des clichés. Le réalisateur américain tire sa révérence cinématographique en redonnant enfin au biopic ses lettres de noblesse. Il livre une œuvre qui renoue avec une narration « historique » intelligente, brillamment ciselée et qui assume ses digressions.
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le 17 sept. 2013
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