Les êtres inachevés.
Le road-movie, un genre en soi, est la plupart du temps un argument d’écriture facilitant la dynamique et la dramaturgie : un voyage initiatique (Alice dans les villes), une fuite en avant (True...
le 29 nov. 2016
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Le road-movie, un genre en soi, est la plupart du temps un argument d’écriture facilitant la dynamique et la dramaturgie : un voyage initiatique (Alice dans les villes), une fuite en avant (True Romance ou Le Démon des armes), la traversée panoramique d’un monde (La Prisonnière du Désert, Easy Rider) dont on découvre les codes…
En 1971, deux films poussent cette double exploration du mouvement (celui du voyage, celui du cinéma) dans ses ultimes retranchements : l’immense Vanishing Point, bien entendu, et Two-Lane blacktop.
Pas de nom, (mais deux musiciens influents de la contre-culture aux commandes, Denis Wilson et James Taylor) pas de destination, ou alors un vague ailleurs qui changera au fil des bifurcations. Des chauffeurs, des passagers, une combinatoire entre les places occupées et les véhicules conduits, une jeune fille qui passe de l’un à l’autre et finit par leur préférer un motard croisé à un carrefour. Marche, pause, plein, réparation, conversations neurasthéniques qui laissent de côté tout ce qui pourrait ressembler à de la confidence et des révélations personnelles.
Le film tend à l’épure jusqu’à une dimension proprement littéraire : on pense au théâtre de l’absurde, où les personnages n’attendraient plus Godot, mais organiseraient une course avec lui. La rivalité entre les conducteurs est elle aussi une fausse piste : alors qu’on pressent un temps un duel duquel pourrait sourdre une violence éclatante (sur le modèle du Duel de Spielberg, et de la reprise de Tartantino dans Deathproof), c’est une complicité molle qui l’emporte : parce qu’ils se ressemblent, les adversaires font d’avantage un bout de chemin ensemble qu’ils ne s’affrontent, ravis de trouver en l’autre le même élan vide que celui qui les habite.
Caméléons des différents décors qu’ils traversent, les personnages mentent souvent, finissent par s’inventer des destinations ou des victoires, et semblent à terme se dissoudre dans le pur mouvement qu’ils ambitionnent, débitant des aphorismes d’une sagesse d’outre monde :
“If I'm not grounded pretty soon, I'm gonna go into orbit.”
Mélancolique et destructeur, Two-Lane Blacktop est un poème visuel sur la pulvérisation : dans une Amérique muette, pour des marginaux dont la trajectoire serait celle d’étoiles filantes par une nuit nuageuse. La mort rode, de cimetières en accidents, d’impasses en pannes mécaniques, mais reste un point d’attache fixe qui ne prend pas prise sur les fuyards. Il ne s’agit pas de liberté : elle-même, comme la mort, pourrait être une destination ; c’est le trajet qui importe, métaphore d’une destinée parcourue sans point d’ancrage.
Comment inachever ce mouvement ? Par un autre moyen radical : le film ne se conclut pas, la pellicule crame, fidèle à la devise d’un des chauffeurs :
“Performance and image, that's what it's all about.”
(7.5/10)
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le 29 nov. 2016
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