Pour la première fois en solo, sans son petit frère Ethan comme deuxième tête pensante du projet, Joel Coen a écrit et réalisé un film entendant revisiter le Macbeth de William Shakespeare dans une énième adaptation d’une de ses tragédies les plus populaires. La question était donc de savoir ce que l’aîné des Coen allait apporter de neuf et d’assez singulier, comme avait su le faire Justin Kurzel en 2015, à ce noir récit d’un général devenu roi dans le sang et le meurtre, et guidé par les désirs de pouvoir de madame. À cette question donc, la réponse est malheureusement sans appel et, il faut l’admettre, douloureuse : pas grand-chose.
Pis : le film paraît dévitaliser les mots sublimes et terribles, saper toute la poésie cauchemardesque du drame shakespearien. Coen n’en offre qu’une relecture aseptisé, sans émotion ni puissance (même les acteurs semblent avoir du mal à s’emparer du texte, à lui donner du souffle, et c’est particulièrement le cas concernant les interprétations atones de Frances McDormand et Denzel Washington), mais enrobée dans un bel écrin design convoquant à la fois le fantôme d’Orson Welles, ou plutôt son adaptation de Macbeth qu’il réalisa en 1948, et les figures imposées de l’expressionnisme allemand. Certes, visuellement ça en jette (certains plans, dans leur agencement géométrique, sont splendides), mais un film ne peut fonctionner que par la beauté flagrante de ses cadres (depuis le temps, ça se saurait).
Car le dispositif sait séduire, flatter l’œil un premier temps (scénographie dépouillée et anguleuse, visions infernales, noir et blanc somptueux…). Mais sur l’entièreté du film, celui-ci ne se révèlera qu’illusion dramaturgique et artifice esthétique. Coen ne filme que le Verbe déclamé, la prose littéraire mollement récitée, mais jamais sa substance ni sa fureur (là encore, le parallèle avec le film de Kurzel, organique et sale, se révèle sans pitié pour celui-ci). À chaque seconde on s’interroge. Où est cette folie dévorante, cette folie qui devrait suinter, envahir tout, et le chaos de la tyrannie, et la passion destructrice qui agite ce couple maudit jusqu’à la mort, si ce n’est dans quelques scènes suggérant ce que le film aurait pu être, magnifiquement, s’il avait consenti à plus d’incarnation et de fièvre ?
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