Macumba Sexual par Claire Magenta
Dans la débordante et démesurée filmographie de Jesús Franco, le début des années 1980 marque sinon un tournant, du moins une évolution notable dans ses productions : son retour sur ses terres natales. Après des années d'exil qui le vire principalement tourner à l'étranger pour trois compagnies durant la décennie précédente : le Comptoir Français de Robert de Nesle, celle du suisse Erwin C. Dietrich, et enfin de manière épisodique, la fameuse Eurociné de Marius Lesoeur, le madrilène retrouve une Espagne libérée du poids (de la censure) franquiste. Un terrain de jeu idéal pour ses diverses déviances cinématographiques, qui lui fait croiser de nouveau l'acteur Antonio Mayans, figure incontournable de l'univers francien des années à venir, après l'adaptation de La nuit des assassins (La noche de los asesinos) d’Edgar Allan Poe en 1973.
Or un come-back peut en cacher un autre, comprendre une nouvelle relecture d’une de ses œuvres fondatrices : Vampyros Lesbos. Abandonnant les rives du Bosphore pour les paysages insolites des Canaries, Franco profite de ce Macumba Sexual pour nous rappeler qu’il reste avant tout un des grands chantres du cinéma hallucinatoire.
Alice Brooks (Lina Romay) et son compagnon (Antonio Mayans) passent leurs vacances à Gran Canaria. Celle-ci reçoit un coup de téléphone de son patron Mortimer. Une certaine Princesse Obongo (Ajita Wilson) souhaite acquérir une propriété à Atlantic City. Il lui demande d’aller la rencontrer, cette dernière, vivant sur une île voisine. Mais Alice est très perturbée par cette requête. Depuis son arrivée, des cauchemars, mettant en scène une dénommée Tara Obongo, la hantent…
Au risque de contredire les esprits chagrins qui souhaiteraient réduire Jess Franco à des films cheap aux qualités esthétiques douteuses, force est de constater que Macumba Sexual contredit une fois de plus son supposé manque d’ambition (souvenons-nous au hasard des cadrages de Frauen für Zellenblock), du moins quand ce dernier s'en donne les moyens comme c'est le cas ici présent. L’utilisation du cinémascope, ajouté aux paysages et aux décors (en particulier la demeure baroque de la Princesse), confirme sa volonté de s’offrir un retour remarqué et remarquable. A l'instar du portrait de Doriana Gray qui était une version contemplative et expurgée de La comtesse noire, Franco prescrit le même traitement radical à son long métrage désormais culte, réalisé en 1970 et interprété originellement par sa muse Soledad Miranda. Érotisme onirique interrompu par des actes de frénésie sexuelle (non simulée), le film conclue la recherche formelle de son auteur initiée quelques années plus tôt.
magerie irréelle où se conjugue croyance tribale et sexualité débridée, Macumba Sexual brouille les pistes entre réalité et rêve. Telle l'Alice de Lewis Carroll, celle de Jesús Franco passe également de l'autre côté d'un miroir, dans un monde surnaturel régit par une dame de sang royal, et à l'occasion prêtresse vouée au culte du dieu Macumba. La présence à ce titre de l’actrice transsexuelle Ajita Wilson, vu auparavant chez le cinéaste en tortionnaire sadique dans le bien nommé WIP Sadomania, n’est pas étrangère à l’atmosphère particulière du film. Catalyseur des pulsions sexuelles de la jeune femme, Tara Obongo cannibalise littéralement les deux amants. Accompagnée par ses deux esclaves humains nus et tenus en laisse, le personnage se nourrit des influences Sadiennes que Franco filma au cours de la décennie précédente.
Doté d'une musique, composée par Franco himself, et en harmonie avec l'ambiance abstraite du métrage, Macumba Sexual ravira en premier lieu les fins connaisseurs de Jesús Franco. Les autres pourront s'amuser des shorts ultra courts de Candy Coster alias Lina Romay, ou de la prestation décalée de Franco en réceptionniste d'hôtel.
Obsessionnel, hallucinatoire, hypnotique, Macumba Sexual est tout à la fois et sans doute le dernier grand film de son auteur.